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Influence

À lire : La Guerre de l’information – Les États à la conquête de nos esprits 1/4

By 9 janvier 2024janvier 16th, 2024No Comments
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J’ai lu « La Guerre de l’information – Les États à la conquête de nos esprits » de David Colon.
C’est un livre passionnant, qui vient compléter les précédents ouvrages de David Colon : « Les maitres de la manipulation »  et « Propagande et manipulation de masse ».
Cette note de lecture n’engage évidemment que moi. Je dégage les éléments qui m’ont semblé les plus intéressants, et ce n’est ni un résumé ni une synthèse. Les phrases entre guillemets sont de l’auteur. Je vais publier cette note de lecture en quatre parties, tant le livre est riche :

  1. La Guerre de l’information
  2. La guerre totale de l’information
  3. La guerre psychologique
  4. La guerre cognitive

Guerre de l’information

David Colon est professeur à Sciences Po Paris, où il enseigne notamment l’histoire de la propagande et des techniques de communication persuasive. Il est aussi chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP).

La guerre que l’on n’a pas vu venir

David Colon présente en introduction l’idée principale de son ouvrage : « La Guerre de l’information, qui était jusqu’alors le plus souvent le prolongement de la guerre ouverte par le recours à des opérations à caractère informationnel, est devenue un substitut à certains conflits militaires ».

Chapitre premier. – La guerre du Golfe, point de départ de La Guerre de l’information mondiale.

Le premier chapitre s’ouvre sur les mensonges de la première guerre du Golfe (1991), et notamment le faux témoignage de Nayirah. C’est un sujet que j’affectionne particulièrement et que je présente à chaque conférence ou formation sur l’influence et la manipulation.
Un des points les plus marquants de cette affaire est qu’au-delà des mécanismes de manipulation du gouvernement Bush (avec notamment ses euphémismes de guerre propre, frappes chirurgicales), il y a eu une « autocensure patriotique » des médias américains. David Colon reprend le témoignage de Marcel Trillat en 1991 qui décrit le traitement de la guerre par les médias américains comme « la plus fantastique machine à désinformer jamais créée par un pays en guerre ». On voit à cette occasion l’émergence d’un complexe militaro-informationnel américain, qui n’est pas sans rappeler le complexe militaro-intellectuel décrit par Pierre Conesa dans Vendre la guerre. (Voir mes notes de lecture Le lobby saoudien en France, La fabrication de l’ennemi) D’ailleurs, David reprend justement un peu plus loin une citation de Pierre Conesa « La mondialisation de la communication a ouvert la voie à la mondialisation de la manipulation ».

Cette guerre médiatique aura deux conséquences. Les Russes et les Chinois prennent acte de l’importance du théâtre d’opérations médiatique, et vont se lancer dans une course à l’armement médiatique. À nos dépens …

Chapitre 2. – Les États-Unis en quête de domination globale de l’information.

Domination informationnelle

Les États-Unis rentrent dans une logique de domination informationnelle qui passe évidemment par les toutes nouvelles « autoroutes de l’information ». C’est l’expression en cours sous Clinton et son vice-président d’Al-Gore pour désigner l’internet et le web naissant. Tout en prônant une libre circulation des informations, ces derniers ont veillé avec application à imposer leur prédominance sur tous les tronçons et nœuds de ces autoroutes informationnelles. Leur surveillance du numérique n’est que la continuation (logique) de leur surveillance mondiale des réseaux de télécommunication (avec le réseau Echelon) dénoncée dès 1988 par le journaliste écossais Duncan Campbell. Mais que faut-il surveiller ? Keith Alexander, patron de la NSA de 2005 à 2014 l’explique simplement : comme on ne sait pas où sont les aiguilles intéressantes dans la botte de foin informationnelle …il suffit de collecter « toute la botte de foin pour y chercher plus tard une aiguille ».

Les GAFAM et la guerre de l’information

Seconde question : qui va collecter le foin ? Dans une logique purement capitaliste et de promotion de leurs grandes entreprises, une partie du travail de collecte va être sous-traité par l’État américain au monde privé. Et cela va donner les grandes entreprises de la « Silicon Valley ». Il n’est pas nécessaire de nommer les GAFAM, nous les utilisons toutes aujourd’hui. Et si des entreprises non américaines ont des compétences recherchées, il suffira de les « acheter ». C’est ce qui arrivera au leader mondial de la carte à puce (l’entreprise française Gemplus) qui sera avalé par l’ogre américain. Cette triste affaire réactivera en France une politique publique d’intelligence économique avec la nomination d’Alain Juillet au poste de HRIE.
Les autres leviers d’influence sont connus : “nation branding” “soft power”, ”smart power”…

Chapitre 3. – Les résistances face à la domination informationnelle américaine.

Mais internet allait offrir à d’autres acteurs les moyens de se faire entendre, et de rentrer eux aussi dans la Guerre de l’information :
– David Colon présente le sous-commandant Marcos à la tête de l’Armée zapatiste de libération nationale comme le premier à réussir une internationalisation son combat grâce au numérique.

  • Dans le monde musulman, ce sera Al Jazeera qui fera la course en tête.
  • Du côté chinois, internet va se construire selon un modèle très centralisé, et donc beaucoup plus facilement contrôlable. Les expressions « Bouclier doré », « grande muraille numérique » vont fleurir, et édulcorer ce qui sera en réalité un développement très contrôlé de l’internet. Mais ce faisant, « la Chine est parvenue à échapper à l’hégémonie des géants américains, les GAFAM ». L’Europe aurait été bien inspirée de faire de même !
  • Du côté russe, un internet russe se met en place. David Colon cite le spécialiste Kévin Limonier (que j’ai écouté récemment sur l’internet russe) qui souligne que la Russie dispose d’un écosystème numérique quasi complet. La Russie va se doter d’une doctrine de « guerre informationnelle », que Vladimir Poutine va concrétiser avec des outils comme Russia Today.
  • Tous ces acteurs vont contester les instruments de la puissance informationnelle américaine, comme l’ICANN (voir les positions de Louis Pouzin à ce sujet).

Chapitre 4. – Les médias, champ de bataille de la guerre secrète de l’information.

La guerre de l’information

Mais au-delà du numérique, les médias traditionnels ont toujours été des outils d’influence. En effet, le contrôle, l’influence et la manipulation des médias a toujours été une priorité des services secrets dans cette guerre de l’information. Ainsi l’opération Mockingbirg, menée par la CIA, avait pour but d’infiltrer des médias américains et anglais. L’opération a été révélée en 1976 par le sénateur démocrate américain Franck Church. David Colon explique que dans les années 80, la CIA est de fait la plus grande agence de presse au monde ! Les attentats du 11 septembre vont donner à la CIA un nouvel élan dans son programme de manipulation des médias. Le gouvernement de George Walter Bush, et notamment Paul Wolfowitz, vont tourner la fureur américaine contre Saddam Hussein. Or, on le sait, le président irakien n’y était pour rien dans les attentats du World Trade Center. Un exemple est particulièrement développé par David Colon. « Le cas le plus emblématique de la communication stratégique manipulatoire américaine est celui d’Abou Moussab al-Zarqaoui ». Le gouvernement américain fait de ce quidam un personnage central de la nébuleuse djihadiste. Le pauvre Colin Powel relaiera de fausses informations lors de son célèbre discours devant le conseil de sécurité de l’ONU, présentant al-Zarqaoui comme le chaînon manquant entre Saddam Hussein et Ben Laden. On le voit, la « réalité alternative » a été inventée bien avant Trump.

Les Russes ne sont évidemment pas en reste. Ils trouvent d’ailleurs qu’il est extrêmement facile de manipuler la presse occidentale, jalouse de sa liberté face au pouvoir politique.

Pourquoi les médias se laissent aussi facilement abuser

Mais pourquoi les médias, et notamment la presse, se laissent aussi facilement abuser ? David Colon présente plusieurs arguments :

  • Recouper les informations coûte cher, et les organes de presses ont de moins en moins de moyens et donc de journalistes.
  • Cela est particulièrement vrai pour les correspondants à l’étranger qui coûtent fort cher.
  • Ce faisant, ils sont plus dépendants des communiqués des agences de presse.
  • Parallèlement, l’industrie des relations publiques ne cesse de grandir. Un chiffre édifiant : « Depuis 2008, le Royaume-Uni compte davantage de consultants en relation publique (47800) que de journalistes (45000) ».

David Colon étrille au passage Avisa Partners, bien connu dans le monde de l’intelligence économique. L’auteur cite Mediapart qui craint que « ce groupe privé ultrapuissant, mû prioritairement par la recherche du profit, puisse interférer dans le grand jeu du renseignement étatique, voir joue contre les intérêts français selon les circonstances et les clients ». Avisa est connu notamment pour avoir racheté CEIS qui était organisateur du FIC à Lille. Les acteurs de l’intelligence économique sauront compléter ces quelques lignes …

La suite de la Guerre de l’information : La guerre totale de l’information !

N’hésitez pas à consulter les formations Inter-Ligere sur l’influence :

« La Guerre de l’information » est édité chez Tallandier. Notez qu’en 2007 j’ai déjà chroniqué le livre de Daniel Ventre titré aussi « La guerre de l’information ».

Bonne lecture !
Jérôme Bondu

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