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A lire : Propagande & industrie du mensonge. 5/5

By 2 novembre 2022No Comments
Industrie du mensonge

Quelles sont les techniques de l’industrie du mensonge ? Ce billet est la 5ème partie d’une note de lecture du livre « Propagande – la manipulation de masse dans le monde contemporain » de David Colon (Edition Belin 2019). Note de lecture en 5 articles :
– Première partie : La fabrique du consentement.
– Deuxième partie : Le « viol des foules ».
– Troisième partie : Le triomphe de l’image / manipulation par l’image
– Quatrième partie : La propagande à l’ère de la post-vérité
– Quatrième partie (suite) : Les techniques de l’industrie du mensonge

XX – Les techniques de l’industrie du mensonge

Industrie des relations publiques

La post-vérité doit aussi beaucoup à l’industrie des relations publiques. Parmi les techniques éprouvées :
– Discréditer l’adversaire
– Proposer une vision alternative.
– Recourir à la projection.
– Utiliser des autorités tierces, des association écrans. Un exemple est édifiant. Trois géants américains de l’automobile, du pneu et du pétrole ont utilisé dans les années 20 la National City Line, pour racheter des compagnies de tramways et pour les démanteler au profit des lignes d’autobus. Parallèlement la National Highway Users Conférence, fondée en 1932 faisait du lobbying pour les autoroutes. Autre exemple : On connait tous le lobbying de Nestlé au travers du Centre de coordination Nestlé pour la nutrition, pour promouvoir le lait en poudre aux dépends du lait maternel. Mais le pompom de la pomponette est attribué à l’unanimité à l’industrie du tabac (voir la note de lecture : Réquisitoire contre les cigarettes https://www.inter-ligere.fr/a-lire-cigarette-dossier-sans-filtre-requisitoire-brulant-contre-les-vendeurs-de-morts-bande-dessinee-de-pierre-boisserie-et-siro/ ) .
– Lancer des procédures judiciaires.

Utiliser des tiers-garants

– Utiliser des tiers-garants qui pourront porter le message. Idéalement, il faudra un militant repenti prêt à trahir la cause pour laquelle il s’était battu. David Colon cite Ronald Duchin, vice-président d’une société spécialisée dans l’infiltration (Mongoven, Boscoe & Duchin) qui expliquait que face à des militants qui défendaient une cause contraire aux intérêts de ses clients, il fallait : « isoler les révolutionnaires. Flatter les idéalistes pour les transformer en réalistes. Récupérer les réalistes afin qu’ils adoptent le point de vue » du client.

Semer le doute dans les esprits

– Semer le doute dans les esprits, éventuellement en faisant appel à une science biaisée. David Colon explique qu’en vertu d’un droit de réponse, des émissions pouvaient mettre sur un même plateau un scientifique sérieux défenseur du réchauffement climatique et un opposant incompétent. Mais cette pluralité des points de vue n’a rien de vertueux.
– Financer des politiques, ce qui est classique aux États-Unis.
– Donner l’impression d’avoir le public de son côté. Ce qui est facile avec les campagnes de type grassroots, et la technique de l’astroturfing.
– Faire peur au consommateur. Exemple édifiant avec les industries de l’huile végétale qui vont lutter contre le beurre avec la diabolisation du « mauvais cholestérol ». Mais l’industrie du sucre et de sel en prennent aussi pour leur grade.
– Gagner les décideurs et experts à la cause. Exemple avec le scandale du médiator.
– Influencer les journalistes, à qui les experts en communication vont fournir des articles ou reportages clés en main.

XXI – La militarisation de l’information

La guerre poursuivie par d’autres moyens

« La propagande (…) c’est la guerre poursuivie par d’autres moyens » rappelle David Colon pour qui l’information est une arme.
– La première manière de se servir de l’information comme une arme est l’intoxication de l’adversaire. « Avant la Second Guerre mondiale ; Heydrich fait parvenir à Staline de faux documents semblant fournir la preuve de la trahison du maréchal Toukhatchevski, commandant en chef de l’armée rouge. Staline le fait exécuter et épure son armée de vingt généraux et 35 000 officiers » ! David Colon cite aussi l’opération Mincemeat (dont j’ai parlé récemment suite au film La Ruse). Il y a aussi l’opération Svastika entre 1957 et 1960 fomentée par l’URSS, pour créer de faux attentats antisémites, et ainsi raviver les souvenirs du nazisme, avec le but finale d’éloigner la France et l’Allemagne en pleine construction d’un marché commun.

Guerre de l’information

– La guerre de l’information passe par les réseaux numériques. La Chine comme la Russie cherchent à être autonomes (grande muraille numérique) et à instrumentaliser les outils sociaux. David Colon rappelle avec prudence (au conditionnel) les liens entre les GAFAM et les services de renseignement américains. Extrait : « Aux États-Unis, les agences de renseignement ont également cherché à façonner les efforts de la Silicon Valley de telle sorte qu’ils soient utiles pour la sécurité intérieure, et Google, selon des révélations récentes, aurait ainsi été créé en partie avec des fonds de la CIA ». David Colon cite comme source Jeff Nesbir « Google’s true origin partly lies in CIA and NSA research grants for mass surveillance”.
– Concernant la Russie « la militarisation de l’information (…) repose à la fois sur une propagande blanche et une propagande noire ». La première utilise Sputnik ou RT. La seconde utilise des trolls ou des groupes de hackers, dont APT28 proche du GRU et APT29 proche du FSB.

Désinformation numérique en Occident

– La désinformation numérique en Occident n’est pas mise de côté. Côté Anglais : Snowden a fait fuiter des documents du JTRIG (un département de GCHQ) qui révélaient que « l’agence se donnait pour objectif de « détruire, nier, dégrader et perturber » les ennemis en les discréditant, en semant la désinformation et en bloquant leurs communications ». Côté Américains, ce serait l’Office of strategic communication et une division du FBI qui seraient chargés des basses besognes.
– Les théâtres d’opération sont multiples, depuis la Syrie jusqu’à la France.

Le contre propagande numérique peut, elle, s’appuyer sur plusieurs mécanismes :
– Dénoncer la propagande adverse.
– Dévoiler les mécanismes mis en jeu.
– Développer des campagnes de contre-propagande.
– Mettre en place des systèmes de certification des informations.

Conclusion : L’âge de la propagande totale et de l’industrie du mensonge

Les neurosciences ont supplanté la psychologie sociale

Depuis les années 2000 « les neurosciences ont supplanté la psychologie sociale et le behaviorisme dans la panoplie des propagandistes ». David Colon continu dans son réquisitoire : « Nous sommes donc bien entrés dans l’âge de la propagande totale, une propagande cybernétique, de plus en plus automatisée et touchant un nombre croissant d’individus connectés à Internet ». La connaissance personnalisée des internautes permet une propagande hyper ciblée et redoutablement efficace. Les progrès techniques ne sont pas seuls en cause : disparition de l’espace public, défiance envers les médias traditionnels, polarisation de la vie politique. Il convient de retrouver « le chemin de l’humanisme », et pour reprendre Kant « de faire sortir l’individu de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable ».

Réduction du champ cognitif

David Colon pointe « un des plus fascinants paradoxes de l’information à l’ère numérique : si Internet a considérablement étendu notes espace cognitif, c’est-à-dire la somme des informations qui nous sont accessibles sur le web, il n’a pas pour autant étendu notre champ cognitif, autrement dit, la sommes des connaissances auxquelles nous avons effectivement accès ». David Colon cite une étude stupéfiante de James A. Ewans sur les citations dans 34 millions d’articles publiés entre 1945 et 2005. Depuis qu’internet à mis à disposition de vastes ressources, les chercheurs citent moins d’articles, et des articles plus récents, que par le passé. « Alors que les bibliothèques ont, historiquement, contribué à l’élargissement des horizons intellectuels, internet les rétrécit désormais ». Les utopies « d’une unification des consciences humaines, sous la forme de la noosphère de Teilhard de Chardin, du cerveau-monde électronique de McLuhan ou du cybionte de Joël de Rosnay » semblent bel et bien … des utopies. Comme le souligne Gérald Bronner, plus les informations non filtrées par des personnes compétentes se diffusent, « plus la crédulité se propage ». J’ai écrit pas mal de choses sur Gérald Bronner dont j’aime beaucoup les analyses :

Ne rien attendre des médias sociaux

Le salut ne viendra pas des médias sociaux pour qui la diffusion des fausses nouvelles est essentiel. Les raisons sont multiples : D’abord, ces fausses nouvelles sont diffusées par leurs meilleurs clients, les internautes les plus actifs. Ensuite, elles sont les plus virales. Enfin, elles contribuent à l’apprentissage des algorithmes. En gros, elles font parti de leur modèle économique.

Nous sommes dans « l’art de la persuasion individualisée de masse ». David Colon finit par la description des capacités de collecte et d’analyse de l’entreprise de Robert Mercer, Cambridge Analytica. David Colon se fonde notamment sur les livres témoignages de Brittany Kaiser et Christopher Wylie. 240 millions d’Américains ont été scannés. 13,5 millions ont été analysés sur la base du modèle OCEAN comprenant 5 types de personnalités : ouvert, consciencieux, extravertis, agréables et névrosés.

L’auteur finit avec une citation de Gramsci (inspirée de Romain Rolland) « pessimiste par l’intelligence, mais optimiste par la volonté ».

Appréciation de cette présentation de l’industrie du mensonge

Ce livre est une mine d’informations sur les manipulations. On y apprend mille choses. J’ai beaucoup apprécié. Si j’ai un regret, ce serait que les introductions de chapitre ne présentent pas réellement le contenu. Elles sont plus une introduction. Mais c’est un détail minime. On pourra lire d’autres notes de lecture d’un précédent ouvrage de David Colon :

Formation

Pour mieux comprendre les mécanismes de l’industrie du mensonge, n’hésitez pas à consulter les formations Inter-Ligere sur l’influence :

I1 – Formation Lobbying, influence et cartographie décisionnelle.
I2 – Formation Gérer les rumeurs et les crises sur Internet.
I3-  Formation Développer son réseau relationnel.
I4-  Formation Développer son réseau relationnel et se former au langage non verbal.
I5-  Formation Stratégie de communication dans les médias sociaux.

Jérôme Bondu

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