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A lire : La propagande à l’ère de la post-vérité 4/5

By 27 octobre 2022No Comments
post-vérité

Nous sommes rentrés dans l’ère de la post-vérité ! Le livre de David Colon « Propagande »  consacre un chapitre à ce sujet. J’ai fait une note de lecture très complète en 5 articles :

– Première partie : La fabrique du consentement.
– Deuxième partie : Le « viol des foules ».
– Troisième partie : Le triomphe de l’image / manipulation par l’image
– Quatrième partie : La propagande à l’ère de la « post-vérité »
– Quatrième partie (suite) : Les techniques de l’industrie du mensonge

Quatrième partie : La propagande à l’ère de la post-vérité

XVI – La « démocratie des crédules »

David Colon tape fort dans ce début de partie : « Nous sommes entrés dans l’ère de la post-vérité », une ère qui voit un « relativisme généralisé ». Et il cite Hannah Arendt : « Le sujet idéal de la domination totalitaire n’est pas le nazi convaincu ou le communiste dévoué, mais les gens pour qui la distinction entre réalité et fiction, vrai et faux, n’existe plus ». David Colon anticipe logiquement une nouvelle forme de fascisme ! Et il revient sur les facteurs de la crédulité des masses :
– « Le premier vecteur de la post-vérité est le discrédit dont les médias font l’objet ».
– Il distingue aussi la disparition de l’espace public. À titre d’exemple Fox News a renoncé à l’affichage d’une neutralité éditoriale. L’auteur développe de nombreux exemples sur la présidence Trump. Les auditeurs peuvent naviguer en vase clos. Gabriel Tarde disait « L’homme d’un seul livre est à craindre ; mais qu’est-ce auprès de l’homme d’un seul journal » !
– Crash de l’attention, et impact négatif des technologies numériques sur notre capacité de concentration. Nicolas Carr s’est interrogé dans un livre : « Internet rend-il bête ? »
– D’autres arguments relèvent de la sociologie cognitive : les idées fausses ont un pouvoir de séduction plus important. Alexis de Tocqueville disait déjà « Une idée fausse, mais claire et précise aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie et complexe ». Les idées fausses rendent simples des faits complexes, facilitent notre compréhension de la réalité, et in fine, rassurent.

XVII – Les riches heures de la désinformation

Pentagon Papers

La stratégie du brouillard consiste à affaiblir la capacité de discernement de l’adversaire. Les méthodes sont multiples :
– L’art du mensonge en politique est illustré par les Pentagon Papers, qui montrent que dès 1965 l’administration américaine savait que la guerre du Vietnam ne serait pas gagnée sur le plan militaire.
– L’art de désinformer « est couramment considéré comme une information incorrecte utilisée volontairement pour masquer des faits ». Le mot a été forgé par le KGB en 1949. Les Anglais utiliseront le mot d’ancien français deception. Tandis que disinformation, qui date de 1972, désigne « toute fuite délibérée d’informations trompeuses ». David Colon développe abondamment la désinformation qui a conduit eu renversement de Jacobo Arbenz Guzman au Guatemala. Et termine par le cas des Contras au Nicaragua avec les révélations d’Edgardo Chamorro. L’auteur qualifie aussi de désinformation la campagne de communication pour éviter la panique autour de l’affaire de la vache folle.
– Les fausses nouvelles.
– La manipulation des marchés, illustrée par le cas Vinci en 2016.
– Les infox / fake news (voir la note de lecture du livre de Caroline Faillet).

Gérer les infox et vérifier les faits

David Colon liste les méthodes pour gérer les infox et vérifier les faits :
– Utiliser les ressorts du droit.
– Lever l’anonymat sur les médias sociaux (ce que Facebook et Twitter ont fait depuis 2017).
– Les plateformes ont mis en place des dispositifs spécifiques : Facebook journalism project en 2017, Google New Lab, Google CrossCheck.
– Les dispositifs de vérification des faits des médias. Solution imparfaite, car cela impose de réagir en permanence, cela demande de la ressource, et cela peut faire craindre des jugements biaisés (voir la critique de Decodex du journal Le Monde).

XVIII – rumeur, complot et propagande

Rumeurs et théories du complot

« L’une des manifestations les plus spectaculaires de la post-vérité est la diffusion à grande échelle sur Internet des rumeurs et théories du complot ». Internet est un coupable facile. Il est aisé de voir internet comme média du faux. Il est tout aussi facile de voir les internautes comme agents crédules. Mais l’étude de l’émetteur primaire qui utilise la rumeur comme stratégie de propagande est moins classique. (On pourra lire une note sur le phénomène des rumeurs et le compte rendu d’un colloque sur les rumeurs).

La rumeur est comme un bruit qui court et se répand en dehors de tout contrôle. L’auteur complète la définition avec quelques idées reçues : La rumeur se diffuser hors des médias. L’information est forcément fausse. Les rumeurs sont colportées par les couches populaires, non instruites. Trois idées fausses.

Le complot « désigne un dessein secret et concerté entre plusieurs personnes de nuire à l’autorité à la sûreté ou même à l’existence d’un personnage public ou d’une institution ». Quand le dessein vise à renverser un ordre établi, on parle alors de conspiration. La théorie du complot vise à voir toute action comme le produit d’un groupe occulte. La pieuvre a été de tout temps la représentation métaphorique du complot. « Le complotisme permet à ses adeptes de reprendre possession d’un monde qui leur échappe (…) et de trouver des réponses simples à des questions compliquées ».

Biais cognitifs

Les théories du complot se répandent d’autant plus facilement qu’elles font appel à nos biais cognitifs les plus courants, notamment le biais de monocausalisme. La diffusion passe souvent par la vidéo, et fait appel aux émotions. La France est « un pays particulièrement réceptif aux extrémismes et aux conspirationnismes ». David Colon développe plusieurs exemples célèbres : Le mythe du Protocole des sages de Sion. La création du Sida par un laboratoire biologique américain. Le meurtre de JFK par la CIA. La tentative d’assassinat de Jean-Paul 2 via une filière bulgare.

Propagande complotiste au XXIème siècle.

La propagande complotiste n’a évidemment pas disparu au XXIème siècle. Les mensonges sur l’Irak en 2003 « augurent une ère du soupçon, de la méfiance et de la remise en cause de plus en plus systématique de la parole politique ». Et plus loin il cite Pierre-André Taguieff dans le livre La nouvelle judéophobie : « Ce tournant de 2003 coïncide, dans les pays occidentaux, à l’entrée dans l’âge adulte de la troisième génération issue de l’immigration postcoloniale, qui s’empare des réseaux sociaux pour exprimer une lecture anticolonialiste de l’histoire en même temps qu’une « nouvelle judéophobie » décomplexée par le regain des conflits israélo-palestiniens ». Et encore plus loin David Colon cite M. Peltier dans le livre l’Ère du complotisme : « pour ces nouvelles générations, le complotisme « s’offre comme une possibilité de réappropriation d’une histoire blessée et comme une parole qui tend à l’affranchissement, à la reconquête d’une place au sein de la société ». Il termine le chapitre en précisant comment l’Iran ou la Syrie se sont emparés des théories du complot autour du négationnisme et de l’antisionisme dans un but politique et géopolitique, et avec le concours d’Alain Soral ou Thierry Meyssan.

XIX – La propagande politique sur Internet

L’ère numérique est un nouvel âge de la propagande.

David Colon commence avec la présentation des bulles de filtre, qui découlent de notre activité numérique, et provoquent une « exposition sélective ». « Le phénomène d’exposition sélection à l’information nous conduit donc à nous exposer de préférence aux informations qui confirment nos a priori ou nos croyances initiales, et à éviter de nous exposer aux autres points de vue, auquel de toute façon nous ne prêtons que peu d’attention ». Ceci pour éviter d’être en dissonance cognitive. Ce principe de cohérence cognitive est doublé d’une « mémorisation sélective » qui fait que l’on retient plus facilement ce qui va dans notre sens. Les communautés se renferment sur elles-mêmes. Le point Godwin est de plus en plus vite atteint. Les memes pullulent. Comme le souligne Antonio Casilli, internet qui était porteur de valeurs décentralisatrices, a été retourné (lire la note de lecture En attendant les robots et Travailleur du clic.

Outil mobilisateur

Internet est vu comme un outil mobilisateur. Même si parfois on lui prête des effets indus. David Colon rappelle que selon Wael Ghonim, acteur du printemps égyptien, le numérique a joué un rôle très marginal pour la bonne raison que 7% des Égyptiens adultes étaient sur Facebook à l’époque, et qu’il n’y avait que 130 000 comptes sur Twitter.

Tout cela apporte une certaine « désillusion du Net » comme le dit Evgueny Morozov (lire la note de lecture La toile que nous voulons). La toile est aussi le monde du trolling, de la fachosphère et des deep fake.

Pour ce qui est des campagnes politiques, l’impact d’internet est certain. David Colon fait d’abord référence à l’élection de Barack Obama en 2008 et cite Romain Badouard pour qui « le véritable pouvoir en temps de campagne électorale découle moins de l’action des foules que de l’exploitation des données produites par l’activité des foules ». Ainsi, avec le scandale Cambridge Analytica, nous avons tous été témoin de la force de l’analyse du big data. David Colon termine le chapitre sur le pouvoir de manipulation de Google. Une étude publiée dans PNAS en 2015 « montre que des résultats biaisés peuvent modifier de 37% les intentions de vote ». La position du nom du candidat dans la liste des réponses du moteur de recherche, la présence ou non d’une photo du candidat, influe aussi sur les intentions de vote.

Plus des liens sur l’ère de la post-vérité

Ce chapitre sur l’ère de la post-vérité est passionnant. Quelques liens complémentaires :

J’avais déjà beaucoup apprécié le dernier livre de David Colon que j’avais aussi chroniqué « Les maîtres de la manipulation » (notes 23 et 4). N’hésitez pas à consulter les formations Inter-Ligere sur l’influence :

I1 – Formation Lobbying, influence et cartographie décisionnelle.
I2 – Formation Gérer les rumeurs et les crises sur Internet.
I3-  Formation Développer son réseau relationnel.
I4-  Formation Développer son réseau relationnel et se former au langage non verbal.
I5-  Formation Stratégie de communication dans les médias sociaux.

Jérôme Bondu

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