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À lire : En attendant les robots – Travailleur du clic. Antonio Casilli 2/2

By 13 mai 2022No Comments
Antonio Casilli_Travailleur du clic

Qui est le travailleur du clic ? J’ai lu En attendant les robots – Enquête sur le travail du clic, d’Antonio Casilli. Le livre est publié par le Seuil. Antonio A. Casilli est sociologue, enseignant-chercheur à Télécom ParisTech et chercheur associé au LACI-IIAC de l’EHESS. Il a notamment publié Les Liaisons numériques (Seuil, 2010) et, avec Dominique Cardon, Qu’est-ce que le digital labor ? (INA, 2015).

Ce second billet reprend les informations complémentaires qui m’ont semblé importantes. Toutes les phrases entre guillemets sont de l’auteur (lire le premier article sur les travailleurs du clic.

Rapport d’exploitation avec le travailleur du clic

Ce rapport d’exploitation est largement détaillé par l’auteur

– Dans une approche marxisante, Antonio Casilli souligne que les plateformes possèdent un capital sans contrepoids du côté des usagers.
– Et qu’elles « contrôlent les usagers en réifiant et en expropriant autant leurs capacités cognitives que leurs sociabilités ».
– Nos interactions sont créatrices de valeur, et cette valeur nous est soustraite à notre insu, dans le cadre d’une capture systématique des données et des métadonnées. Ainsi « un like sur Facebook est estimé entre 0,0005 dollar (valeur calculée par un mécanisme d’enchères à la baisse entre une plateforme sociale et des plateformes d’annonceurs) et 174 dollars (selon l’estimation du coût d’acquisition d’un client potentiel faite par un cabinet de marketing). La valeur d’un tweet est quant à elle évaluée entre 0,001 dollar (sur la base de sa contribution à la valorisation de la société Twitter) et 560 dollars (si c’est une entreprise qui le prépare pour un événement) » (p 240)

Collecte sans limite

– Les collectes de nos données semblent ne pas avoir de limite (p 245) : ainsi les plateformes collectent et analysent le coût d’achat de nos outils numériques, que nous utilisons pour nous connecter … « par exemple la marque des smartphones ou des ordinateurs, et permettent à Facebook d’obtenir des informations concernant les revenus ou le niveau de « littératie » numérique de leurs propriétaires ». Autre exemple les adresses IP, une fois géolocalisées, servent à estimer la valeur du bien immobilier.

Capitalisme cognitif

L’ensemble des interactions représente aux yeux d’Antonio Casilli une forme de travail immatériel, avec ses attendus, ses incitations, dans le cadre d’un capitalisme cognitif. Le travailleur du clic exerce un vrai travail, qui sous une forme ou sous une autre, comprend :
– Une forme de supervision, avec des liens de subordination qui peuvent être réels (une commande à un chauffeur Uber). « Le digital labor n’est pas une simple activité de production, il est surtout un rapport de dépendance entre deux catégories d’acteurs des plateformes, les concepteurs et les usagers »
– Une forme de rémunération qui peut être monétaire (paiement d’un chauffeur Uber) ou psychologique (contentement d’avoir des likes à ses derniers posts).
– L’auteur reprend l’idée d’un prolétariat numérique, et cite l’expression « pronétaire » développée par Joël de Rosnay et Carlo Revelli. Et il n’hésite pas à évoquer une nouvelle forme de colonialisme numérique.

Lutter contre cette plateformisation

L’auteur ne craint pas l’avènement d’un monde où les plateformes gèreront tout. Car « plus le machine learning est appliqué à l’automation du travail humain, plus il a besoin de travail humain » sous-entendu de sources d’information provenant des interactions humaines. Et plus loin, il ajoute : « l’attente messianique de l’automation qui abolira le travail humain est constamment déçue ». Mais cela n’empêche pas qu’il faille lutter contre cette plateformisation.

L’auteur appelle à une prise de conscience de l’avènement d’une nouvelle société façonnée par les plateformes numériques. Et présente les possibilités de lutte pour la reconnaissance du travail du travailleur du clic, des usagers des plateformes.
– D’abord la reconnaissance du digital labor. Devant les dangers de la plateformisation privée, Antonio Casilli écrit : « Pour contrer cette destinée funeste, la reconnaissance du digital labor s’impose comme un objectif politique majeur afin de doter les « travailleurs digitaux » d’une véritable conscience de classe en tant que producteur de valeur ». La, comme vous l’avez noté, la référence politique est claire.
– Ensuite l’élargissement des conquêtes sociales au digital labor. Grève et mouvements syndicaux. Création de plateformes coopératives. Création de « communs planétaires ». Création d’un revenu social numérique.
– Dans tous les cas, il faut repenser les relations entre les usagers-travailleurs et les plateformes.
Il évoque plusieurs solutions, tout en signalant qu’aucune ne répond parfaitement.

Faux-nez du capitalisme

Il prévient aussi du risque de récupération des idées émancipatrices par des mouvements qui sont des faux-nez du capitalisme. Il ne le cite pas, mais on peut y voir une critique de Gaspard Koening. À ce propos, Antonio Casilli évoque « la capacité du capitalisme à s’approprier la critique du travail pour la convertir en profit ».

Mon avis : C’est un ouvrage technique et très dense. En outre, sa prose est riche et complexe, son propos est fin et nuancé. Ce n’est pas un livre facile à lire. Néanmoins, cette enquête sur le travail du clic est passionnante.

Sur le même sujet – travailleur du clic

– À lire : L’âge du capitalisme de surveillance. De Shoshana Zuboff.
– À lire : De l’autre côté de la machine. Aurélie JEAN.
– Cartographie des ouvrages de référence sur le numérique.

– À lire : La toile que nous voulons. Bernard Stiegler.
– À lire : La civilisation du poisson rouge. Bruno Patino.

Jérôme Bondu

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