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Géopolitique

A lire : La guerre Iran-Irak 1980 – 1988. De Pierre Razoux

By 6 janvier 2024No Comments
guerre iran irak

J’ai lu « La guerre Iran-Irak 1980 – 1988 », de Pierre Razoux. A l’époque de l’écriture du livre, en 2017, Pierre Razoux était directeur de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM). Spécialiste reconnu du Moyen-Orient, il est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence portant sur les conflits contemporains et le conflit israélo-arabe, en particulier. Cette lecture est à mettre en parallèle de Persépolis de Marjane Satrapi.

Guerre Iran-Irak

La lecture de ce livre m’intéressait particulièrement par ce que cela permettait de mieux comprendre la guerre qui va suivre … celle de 1991 (et par ricochet celle de 2003) menées par les Bush.

Je ne vais pas prendre le risque de résumer le livre, mais simplement souligner quelques points qui ont particulièrement attiré mon attention. Voici ci-dessous le plan du livre (les titres sont soulignés) avec quelques remarques personnelles.

Déclenchement de la guerre Iran-Irak

L’escalade.
La Qadisiya de Saddam.
Comment en est-on arrivé là ?
Les États-Unis ont-ils poussé Saddam à agir ? La réponse de l’auteur est « non ». Saddam Hussein déclenche la guerre contre l’Iran de son propre chef. Il n’avait pas le soutien soviétique, ni américain, ni saoudien. Il suivait une logique personnelle. Une fois que la guerre s’est enlisée, le président irakien a proposé à plusieurs reprises à l’Iran de faire la paix. À chaque fois, cela a été repoussé par l’imam Khomeini. Il faut dire que du côté iranien, cette guerre permettait aux mollahs de mettre le pays sous cloche, et d’imposer le changement de régime.
La France soutient l’Irak.

L’Iran et l’Irak s’installent dans la guerre

Les Arabes divisés.
Israël mise sur l’Iran. En effet Israël était l’allié de chah d’Iran, et a maintenu des liens durant les premières années de la révolution islamique.
L’effet Valmy.
L’initiative change de camp.
Les mollahs prennent le pouvoir.
Premières victoires.
Nouvelles médiations. Les États-Unis vont se rapprocher de Bagdad. Mais plus dans l’optique de maintenir un semblant d’équilibre entre les deux belligérants.
La reconquête iranienne.
Ramadan béni.
Aurores sanglantes. Pour repousser les vagues de combattants iraniens, les Irakiens vont commencer à utiliser des gaz. Ce que les mollahs refusent de faire, car cela serait une forme de guerre non conforme avec l’islam.

Les otages du Liban

L’atout maître de Saddam. Les Irakiens vont avoir un avantage de taille : l’interception et le décryptage des codes iraniens. À cela va s’ajouter les renseignements humains issus des réfugiés iraniens en Irak. Lors d’une bataille dans des marais, l’Irak va aussi injecter des décharges électriques de 200 000 volts dans l’eau pour foudroyer les combattants iraniens.
Les otages du Liban. L’Iran va pratiquer le terrorisme par l’entremise du Hezbollah libanais. Ils vont viser les Américains et Français. C’est dans ce cadre qu’aura lieu l’attaque de l’immeuble Drakkar qui a couté la vie à 58 parachutistes français. L’Iran aura aussi une politique de prise d’otage. Les anciens se rappellent certainement les noms de Jean-Paul Kauffmann et Michel Seurat. L’Iran reproche à la France, entre autres : d’être trop proche de l’Irak, le différend sur l’Eurodif, et l’emprisonnement d’Anis Naccache.

Utilisation du gaz

L’argent n’a pas d’odeur. Au plus fort de la guerre Iran-Irak, 40 pays vont apporter une aide à l’un des deux belligérants, et pour 20 pays … aux deux en même temps. C’est dans ce chapitre que l’auteur parle du scandale de l’entreprise française Luchaire (vente de munitions à l’Iran). On y lit aussi que Saddam n’a pas hésité à tester le gaz Tabun sur un de ses bataillons … sacrifiés pour pouvoir mesurer les effets du gaz !
Guerre totale. Les deux camps bombardent les populations.
L’année du pilote. Souligne l’importance de l’aviation.

L’URSS dans la guerre Iran-Irak

Le nerf de la guerre. Les États-Unis ont proposé au roi Fahd d’ouvrir les vannes de la production pétrolière pour casser le cours du brut. Et ainsi asphyxier l’Iran et l’URSS tous deux dépendants des ventes de l’or noir. Le baril tombe à moins de 10 dollars, pour finalement s’équilibrer à 15 ! L’URSS est épuisée par la guerre en Afghanistan et la « guerre des étoiles ». Derrière ce nom se cache une belle opération d’intoxication de Reagan qui a mené une course aux armements qui a ponctionné le budget soviétique. (je rajoute – ce n’est pas dans le livre – que pendant que les Russes étaient focalisés sur la guerre des étoiles, les Américains préparaient la révolution numérique et la Silicon Valley). L’arrivée de Gorbatchev dégèle les relations entre l’Iran et l’URSS. Mais derrière la façade, l’hostilité l’emporte. Khomeiny envoie même une lettre à Gorbatchev pour lui conseiller de se convertir à l’islam. Ça a dû plaire à Gorby 🙂 Sur un autre plan, il y a une lutte constante entre l’armée régulière iranienne et les pasdarans.

Les bassidjis de la guerre

Le calvaire des enfants-soldats. Les estimations sont évidemment grossières, mais l’auteur estime que 80 000 enfants (bassidjis) de 13 à 17 ans périront. Le plus souvent utilisés comme chaire à canon, appelés à sortir des tranchées en premier. Pierre Razoux explique que l’endoctrinement passait notamment par une petite clé en plastique que l’on donnait aux enfants, et qui symbolisait la clé du paradis. J’en ai parlé hier dans Persépolis de Marjane Satrapi.
L’impasse. Je retiens de ce chapitre l’idée que les États de la région, mais pas qu’eux, jouent un double jeu qui vise à affaiblir les deux belligérants. Ainsi Hafez el Assad s’inquiète de la possible victoire de son allié iranien qui pourrait installer un régime chiite à Bagdad. L’auteur pointe aussi les dissensions internes : les succès des pilotes de l’air sont indument attribués aux pasdarans proches des mollahs.

L’irangate

L’irangate. Ce chapitre trop court à mon gout est un des plus intéressants. Il reprend le scandale de vente d’armements à l’Iran par les États-Unis via Israël, avec en toile fond le financement des contras nicaraguayen. OK je sais, c’est compliqué … Yvonnick Denoel dans les Dossiers noirs de la CIA en parle aussi. L’acceptation du chantage iranien (des armes contre les otages) sera un fiasco et faillira conduire Reagan à « l’empêchement ». Oliver North sera l’arisant de ce montage.
Offensives à outrance. L’Iran utilise encore plus durant la fin de la guerre sa propre population comme chair à canon, systématiquement découpée par le feu irakien. Les dernières opérations terrestres sont des boucheries.

Implication américaine dans la guerre Iran-Irak

L’Iran change sa stratégie. Dans ce chapitre, l’auteur rappelle le conflit avec la France sous la forme de la « guerre des ambassades ». Anis Naccache et Eurodiff sont encore une fois au centre des revendications iraniennes.
Le Golfe s’embrase. Les États-Unis vont intervenir directement dans le Golfe. Et face aux provocations iraniennes, vont répliquer par les armes.
Le martyre de Halabja. Halabja est une ville du Kurdistan qui va être gazée par Saddam Hussein. On estime le nombre de morts civils entre 3000 et 5000.
Le vol Iran Air 655 ne répond plus. L’Irak reconquiert ses territoires face à l’Iran exsangue. Entre-temps, dans le Golfe, l’armée américaine tire par erreur sur un avion de l’Iran Air 655, et tue 300 civils. Cinq mois plus tard, un avion de la Panam explosera au-dessus de la ville de Lockerbie. Il y aura 270 civils tués. Selon certains, Kadafi aurait été manipulé par les Iraniens. Ces derniers auraient commandité l’attentat de Lockerbie en rétorsion.
Fil de partie. Pierre Razoux pointe la responsabilité de l’Irak dans le déclenchement dans la guerre. Mais pointe aussi la responsabilité de Khomeini dans la poursuite quasi obsessionnelle de cette guerre.

Conclusions de cette guerre

Voici quelques éléments que je retire de cette lecture passionnante.

Dimension économique

  • En 1991, la France va apurer les comptes d’Eurodif et libérer Naccache. La France a récolté de milliards de dollars de contrats, mais a vu 13 de ses ressortissants kidnappés, 100 assassinés, et 500 blessés. Les relations vont néanmoins à nouveau se détériorer suite à l’assassinat de Chapour Bakhtiar en France, l’ancien premier ministre du chah.
  • Cette guerre de tranchées a souvent été comparée à la Première Guerre mondiale. Mais elle a été moins meurtrière. L’Irak et l’Iran ont perdu environ 1,3% de leur population en 8 ans. Alors que pour les principaux belligérants de la 1er Guerre ont perdu 4% en 4 ans.
  • Il y a eu une prise de conscience de la dimension économique de cette guerre. Quand le pétrole était au plus haut, les combats étaient intenses. Et inversement.

Le régime des mollahs

  • En 1989, Khomeini lance une fatwa contre Salman Rushdie. On peut voir dans cette manœuvre une diversion pour masquer la défaite de l’Iran face à l’Irak.
  • Le régime des mollahs a réussi, au travers de cette guerre, à s’imposer en Iran. Mais la défaite contre l’Irak met un terme à leur ambition de véhiculer un islam politique. Il faudra attendre l’accession en Turquie de l’AKP pour assister à un retour en force de l’islam politique.
  • La Turquie et l’Arabie Saoudite ont profité de cette guerre. La Chine et la Corée du Nord ont engrangé des contrats. Pour la Russie le bilan est mitigé.

L’invasion du Koweït

  • L’Irak se retrouve à la fin de la guerre avec un outil militaire démesuré et lourd à entretenir. Il se débat avec l’OPEP pour maintenir un prix du baril élevé. Or l’émir du Koweït « s’obstine à maintenir des prix pétroliers très bas et se refuse à passer l’éponge sur la dette financière contractée par l’Irak pendant la guerre ». « L’armée irakienne est trois fois plus puissante que l’ensemble des armées du Conseil de coopération du Golfe. Saddam Hussein se sent donc invulnérable ». On connait la suite… La Russie ne soutiendra pas Saddam Hussein quand les Américains décideront de libérer le Koweït.

Le livre est passionnant. On peut juste reprocher trop de détails techniques sur les multiples combats qui ont émaillé la guerre. Selon moi, cela alourdit le propos.

En savoir plus :
– Compte rendu : Analyse de l’Iran – entre fantasmes et réalités.
– Note de lecture : Propagande. 3/5 manipulation par l’image.
Formation sur la veille géopolitique.

« La guerre Iran-Irak 1980 – 1988 » est édité par Tempus Perrin.

Jérôme Bondu

 

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