Skip to main content
Géopolitique

A lire : Les sept cités du savoir (note 2/2)

By 10 mars 2023août 26th, 2023No Comments
cités du savoir

J’ai lu et beaucoup aimé : « Les sept cités du savoir » de Violet Moller. Comment les plus grands manuscrits de l’Antiquité ont voyagé jusqu’à nos jours ? Le livre est édité en 2020 par Payot. Voici une note de lecture en deux parties (lire la première partie).

Venise, dernière cité du savoir

Violet Moller raconte le développement de Venise. Elle relate incidemment la construction des bateaux pour la quatrième croisade, et le détournement de celle-ci contre la rivale Constantinople.
Elle cite aussi Poggio Bracciolini, dit le Pogge, qui redécouvrit De rerum natura un long poème du philosophe romain Lucrèce. Ce dernier était adepte d’une école philosophique fondée en Grèce au IIIe siècle av. J.-C. et qui reposait sur la conviction que le monde entier était composé de minuscules blocs, des atomes. Les idées qui en découlaient étaient dangereuses pour les monothéismes : il n’existe ni créateur ni destructeur divin. Tout dans la création résulte d’une évolution. Les êtres humains n’ont aucun rôle particulier dans la nature. L’âme meurt et l’au-delà n’existe pas. Pour les épicuriens « toutes les religions organisées sont des illusions plus ou moins superstitieuses … [et] sont toujours cruelles ». « Le principal objectif de la vie humaine est l’augmentation du plaisir et la réduction de la douleur ».
Violet Molle termine sa démonstration « les auteurs chrétiens déformèrent cette philosophie pour donner des épicuriens l’image d’êtres dissolus et immoraux, exclusivement préoccupés par leurs appétits charnels. À maints égards, ce poème se lit comme un manifeste en faveur de la science moderne, et sa perspicacité est telle que nous n’avons pas encore pleinement compris ni exploré les idées qu’il aborde » p249. La condamnation De rerum natura a été évidemment féroce par les monothéismes.

Epicuriens

Cette prescience des épicuriens m’a intéressé et j’ai creusé un peu le sujet. J’ai retrouvé la traduction intégrale de Rerum natura.

Et je suis tombé sur un passage qui effectivement n’a pas d’équivoque dans la condamnation des religions :
Peut-être on te dira que tu cours à l’abîme,
Que la science impie est le chemin du crime.
Eh ! qui plus enfanta d’atroces actions,
Plus de hideux forfaits, que les religions ?

La bibliothèque vaticane bénéficia des livres accumulés dans les bibliothèques privées italiennes. De 340 malheureux volumes en 1160, elle passa à 60 000 manuscrits et 8000 incunables.

Imprimerie

La partie sur l’imprimerie est aussi passionnante. La réinvention de Gutenberg, bien qu’elle fut testée à Mayence, fut surtout développée à Venise. AU XVe siècle, on trouvait des imprimeries dans 80 lieux d’Italie, 64 d’Allemagne et 45 de France. « La ville présentait toutes les conditions requises pour que l’imprimerie y prospère : un vaste public de lecteurs instruits, un secteur bancaire solidement organisé propre à assurer son financement, un gouvernement dynamique, un réseau commercial solide et, chose capitale, un approvisionnement en papier garanti ». L’auteure présente les grands imprimeurs Erhard Ratdolt et Alde Manuce. Venise revient souvent lorsque l’on parle des pratiques d’espionnage au Moyen Âge.

André-Yves Portnoff, lors de sa conférence au Club IES avait souligné les innovations d’Alde Manuce qui ont donné naissance au livre moderne. Il avait rappelé que le second grand succès après la bible de Guntenberg fut l’Hypnerotomachia Poliphili (en français Le Songe de Poliphile) ouvrage qui contient des métaphores érotiques indécentes (enfin, pour les critères de l’époque).

Les cités du savoir après 1500

Violet Moller termine en présentant les grands savants héritiers de cette longue épopée de sauvetage des savoirs : Vésale, Copernic, Tycho Brahe, Johannes Kepler …

Finalement, quels sont les points communs entre ces grandes villes ?
« Chacune des villes que nous avons visitées au fil de cet ouvrage présentait sa topographie et son caractère propres, mais toutes avaient en commun les conditions permettant l’épanouissement de l’érudition : stabilité politique, approvisionnement régulier en fonds et en textes, réservoir d’individus doués et intéressés et, surtout, atmosphère de tolérance et d’intégration des différentes nationalités et religions. Cette collaboration est un des facteurs les plus importants du développement de la science. »

En conclusion, Violette Moller souligne que les trois ouvrages qui ont été le fil conducteur de ce livre ont eu une pérennité diverse. La médecine de Galien et l’astronomie de Ptolémé ont été discréditées et remplacées au XVIe et XVIIe siècle. Par contre, les Éléments d’Euclide sont restés un ouvrage fondamental en mathématique.
Au cours des siècles suivants, les innovations technologiques, notamment la lunette astronomique pour voir l’infiniment loin, et le microscope pour voir l’infiniment petit, ont radicalement changé notre perception du monde, et donc de la science.

L’ouvrage de Violet Moller est passionnant. Et j’ai repéré cette vidéo, dont je n’ai vu qu’un extrait.

Réflexions numériques sur le savoir

On peut se demander si la France possède ces conditions d’épanouissement de l’érudition.
– Stabilité politique ? Certainement.
– Approvisionnement régulier en fonds et en textes ? Non, si l’on considère que nous ne sommes pas capables de développer nos propres bases de données (big data) et de les exploiter avec des outils adaptés, basés sur l’intelligence artificielle et le quantique. D’où l’intérêt de participer à la conférence du Club IES sur la révolution quantique.
– Réservoir d’individus doués et intéressés ? Nous les formons, et beaucoup partent travailler dans la vallée du silicium.
– Atmosphère de tolérance et d’intégration des différentes nationalités et religions ? Oui.

Je me demande aussi si la France est maître des innovations technologiques pour voir l’infiniment petit et l’infiniment loin. La maîtrise de l’intelligence artificielle et du quantique doivent être des priorités pour faire partie de cités du savoir.

Ces mêmes questionnements peuvent porter sur les organisations. Comment une entreprise peut optimiser les conditions d’épanouissement des savoirs ? La mise en place d’une veille, donc d’une maîtrise de son environnement informationnel, participe de ce processus dans lequel je me suis investi il y a maintenant plus de vingt ans.

Autres lectures

Je parle assez peu d’Antiquité, dans ce blog centré sur l’intelligence économique.
Néanmoins, on trouvera des références dans :

Ce livre sur les cités du savoir était passionnant.

Jérôme Bondu

Source image.

Leave a Reply

Clicky