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Intelligence Economique

Histoire de l’IE (5/8): L’Angleterre victorienne

By 11 octobre 2008juillet 2nd, 2022No Comments
Angleterre victorienne - Histoire de l'IE

Jean-Pierre Bernat est intervenu le 23 septembre au Club IES pour une conférence sur l’historique de l’IE. Il nous a laissé la liberté d’utiliser son texte. Le paragraphe ci-dessous correspond à la cinquième partie sur l’Angleterre victorienne (sur 8).

L’Angleterre victorienne

La Grande Bretagne a été la première puissance économique mondiale de la révolution industrielle. Cette place historique dans le groupe des pays industrialisés rend son étude d’autant plus intéressante. Dès la création des manufactures textiles, l’intelligence économique a joué un rôle fondamental dans la maîtrise de l’innovation technique. Ainsi, pour protéger la machine à filer le coton, les manufactures du Lancashire faisaient peser sur les ouvriers des métiers des menaces de sanctions draconiennes au cas où ils dévoileraient les caractéristiques de cette invention à des marchands étrangers (amputation de la main).

L’information et le système pétrolier

L’information tint aussi un rôle central dans les conflits d’influence autour de la commercialisation des produits pétroliers. Au début du siècle dernier, les autorités britanniques placèrent un ancien responsable des services secrets à la tête de l’Anglo Persan Oil pour contenir les ambitions européennes de la multinationale américaine Standart Oil. Cette synergie entre le monde du renseignement et le monde industriel correspondait à une tentative de réponse aux multiples facettes du problème pétrolier au Moyen-Orient :

  • Coloniales avec la défense des intérêts de l’empire face aux autres empires coloniaux
  • Géostratégiques avec l’interdiction à la Russie tsariste de contrôler l’Iran
  • Culturelles et ethniques avec la gestion des contradictions interarabes
  • Économiques enfin, avec le contrôle des gisements et des concessions.

A cette même époque, la Grande-Bretagne obtint pendant un demi-siècle l’exclusivité des gisements du pétrole iranien grâce à une opération de ses services de renseignement. Les autres pays concurrents n’arrivèrent pas à une telle mobilisation des forces. Cela s’explique par le fait que la Grande-Bretagne était alors la seule puissance dont les élites avaient intégré la fonction « intelligence économique » dans leur système de décision.

Le développement de l’Angleterre victorienne grâce à l’intelligence

La culture de l’intelligence britannique trouve ses origines dans le développement de l’empire. Il existe une continuité historique dans l’application de ce principe. Le commerce triangulaire entraîna un affrontement avec le royaume d’Espagne, et pour briser le monopole des compagnies des Indes hollandaises et s’assurer la maîtrise des mers, les Anglais ont vaincu la flotte hollandaise et sont devenus les apôtres du mercantilisme. Face à la France révolutionnaire, le Premier ministre Pitt estima que la sécurité de l’empire maritime dépendait d’un service secret organisé à l’échelle mondiale et renforcé par des institutions à but scientifique comme la Royal Society of Geography qui par le financement de très nombreuses expéditions d’exploration contribuait à une cartographie mondiale des nouvelles colonies et à une meilleure connaissance des contraintes géographiques sur le flux de matières premières (ex: cartographie du Nil visant à analyser les possibilités de régulation pour améliorer le fonctionnement via l’Egypte de la route de la soie et des épices).

Hormis quelques périodes d’activité moins intenses, les systèmes d’information étatiques ont constamment soutenu les intérêts économiques de l’empire. Après la seconde guerre mondiale, cet atout culturel s’est dilué avec la perte de compétitivité de l’industrie d’Outre-manche. Aujourd’hui, la force de la culture de l’intelligence britannique se concentre surtout à la City. Les compagnies d’assurances, les institutions financières et les banques font appel à ce type de savoir-faire dans la conduite de leurs affaires. Un certain nombre de grandes entreprises pratiquent aussi le « business intelligence ». Elles ont créé des postes spécifiques consacrés à cette activité. Il existe enfin un marché privé de l’information qui constitue une source de diversification pour la presse économique. Les lettres spécialisées, les bases de connaissances ciblées sur les entreprises et sur leurs opérations commerciales constituent un des points forts d’un marché jusque-là dominé par les opérations de conseil.

Et après l’Angleterre victorienne ?

Cette continuité historique a progressivement amené la création de départements « marketing intelligence » dans les entreprises, et ce dès la fin des années cinquante. Le « marketing intelligence » dans la culture britannique se traduit par renseignement économique. Si la Grande-Bretagne a réussi partiellement un transfert de ce savoir « intelligence » (dans le sens anglo-saxon) vers le marketing, elle a en même temps transposé sa forte spécialisation et compartimentalisation liée à ce savoir. Le « marketing intelligence » est toutefois devenu une discipline tout à fait acceptée comme tout autre discipline de gestion. L’émergence précoce cette discipline en Grande-Bretagne, orientée vers une collecte intensive de l’information sur les marchés extérieurs, a favorisé l’apparition de cabinets privés en « business intelligence », discipline proche de l’intelligence économique, voire identique. On se souviendra que le mode de fonctionnement du British External Trade Office (BETRO) a servi de modèle aux japonais lorsqu’ils créèrent le JETRO (Japan External Trade Organization).

En France, ce concept a été ignoré jusque dans les années 1970-1980. Lier l’histoire géopolitique et géoéconomique d’un pays comme la Grande-Bretagne à l’évolution de sa pratique de l’intelligence économique, permet de comprendre pourquoi elle bénéficie de la plus forte concentration en Europe de cabinets de conseil en intelligence économique. Le rôle joué par la Grande-Bretagne comme tête de pont de groupes américains en Europe a également contribué à la progression rapide de ces sociétés de conseil dans le pays. Ce n’est pas un hasard si la présidence de l’Association des professionnels de l’intelligence économique en Europe (Society of Competitive Intelligence Professionals – Europe) se situe en Grande-Bretagne et si elle fut longtemps présidée par le directeur « business intelligence » de la société américaine 3M.

Jean-Pierre Bernat

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Jérôme Bondu

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