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Géopolitique

À lire : Une histoire de la science arabe. De Ahmed Djebbar

By 15 mars 2023No Comments
Science arabe

J’ai lu « Une histoire de la science arabe » écrit par Ahmed Djebbar. Pour être plus précis, ce livre est la transcription des entretiens entre Ahmed Djebbar et Jean Rismorduc. Il a été édité au Seuil en 2001.

Historien des sciences arabes

Ahmed Djebbar est historien des sciences, professeur émérite de l’université de Lille. Il s’est spécialisé dans l’histoire des activités mathématiques de l’Occident musulman. Il a été ministre de l’Éducation nationale en Algérie. Jean Rosmorduc est physicien, professeur émérite d’histoire des sciences à l’université de Bretagne occidentale (Brest).

« L’histoire de la science arabe » est ma dernière étape d’une lecture de plusieurs livres historiques :
– Après « Les sept cités du savoir »  , ouvrage qui portait sur la transmission des savoirs entre la Grèce antique et l’Europe médiévale.
Les coureurs d’épices. Edith & François-Bernard Huygues.
Comment l’Empire romain s’est effondré ! De Kyle Harper.
La chute de l’Empire romain et la situation écologique actuelle.

On lit sur la quatrième de couverture :
« L’histoire des sciences occidentale a longtemps affirmé qu’entre  » miracle grec  » et Renaissance, l’obscurantisme le plus total avait régné. La raison revenant, il est apparu que les savants des pays d’Islam, du VIIIe au XVe siècle, avaient certes traduit les ouvrages grecs et indiens, mais surtout défriché des domaines des sciences et des techniques qui ne se constitueront que bien plus tard en Europe.
C’est la longue histoire de ce flamboiement culturel injustement méconnu qui est narrée ici. De Bagdad en Andalousie, des algorithmes d’al-Khwarizmi à la floraison des ouvrages savants, c’est toute une civilisation qui revit, où la liberté de pensée et la tolérance se sont alliées pour faire remarquablement progresser le patrimoine scientifique commun. »

Science arabe

Pour être franc, je n’ai pas tout lu. L’ouvrage est parfois très technique et ultra détaillé. Mais j’en retiens les éléments suivants.

Introduction sur la science arabe

Le tableau chronologique des différentes dynasties de l’Empire musulman (VIII – XIXe siècle) est très pratique. On remarquera que Ahmed Djebbar emploie souvent l’expression « Empire musulman » qui caractérise cette longue période. Parler de « science arabe » (malgré le titre de l’ouvrage) est sujet à caution. En effet, les plus grands savants de cette période sont essentiellement persans, parfois berbères… Mais l’on pourrait objecter que l’emploi du mot musulman pose aussi problème, car il y avait parmi les plus grands savants, des juifs et des chrétiens (notamment nestoriens).
Dans certains passages, Ahmed Djebbar parle des « intellectuels des pays d’Islam » qui est sans doute la formule la plus juste.

Avènement et essor de l’Empire musulman

Ahmed Djebbar met en avant les continuités entre l’empire musulman et les cultures précédentes.
Un exemple parmi d’autres : « jusqu’à l’époque du calife Abd al-Malik (685-705) qui a été un grand réformateur de l’administration centrale, les écrits officiels étaient encore authentifiés par d’anciens cachets de Constantinople portant la croix et la profession de foi chrétienne ».

Les sciences en pays d’Islam

Le Coran est favorable à la science. Parmi les versets qui sont explicitement en faveur de la science, il y a : « Dieu placera sur des degrés élevés ceux d’entre vous qui croient et ceux qui auront reçu la science ». « Seigneur accorde moi plus de science ». On attribue au prophète « Cherchez la science, même en Chine ». Mais différentes interprétations donneront par la suite moins de crédit à la recherche scientifique.

Héritages et échanges

Les savants musulmans ont hérité des savoirs grecs, persans, indiens, et même babyloniens et égyptiens. Dans certains cas, la captation des savoirs a été « forcé ». Ahmed Djebbar raconte que le calife abbasside Al Mamun a demandé à l’empereur de Constantinople de lui prêter des manuscrits scientifiques. Léon V aurait refusé. Suite à quoi Al Mamun aurait menacé de représailles l’empereur s’il ne consentait pas à ce prêt. Nous ne sommes pas loin d’une forme d’espionnage industriel avant l’heure.
Aristote a eu une influence telle, qu’il était appelé par les savants musulmans « le premier maître » (p120).
Toujours sur le plan des échanges et des mélanges de genre, Ahmed Djebbar narre plus loin l’histoire du Cid (celui que Corneille a romancé), qui était en fait un mercenaire qui a autant, si ce n’est plus, combattu pour les musulmans, et notamment pour le royaume musulman de Saragosse, que pour les chrétiens. Rodrigo Dia (de son vrai nom) était surnommé en arabe as-Sayyid, qui signifie « le seigneur » et qui, vous l’avez deviné, a donné le « El Cid ».

Sciences de la Terre et de la vie

Viennent ensuite les chapitres très techniques, traitant de l’astronomie, des mathématiques et de la physique. Ce sont ceux que j’ai lâchement survolés. Celui sur les sciences de la Terre et de la vie m’a plus interpelé. J’ai noté que la vigne était cultivée et que le vin était consommé par une partie de l’élite musulmane. Haroun al-Rachid est connu pour consommer du vin.

Dans le même chapitre, on apprend que le grand historien Ibn Khaldoun avait une vision très « moderne » de l’histoire du vivant. Ibn Khaldoun y parle d’évolution continue des êtres vivants. Page 300 du livre d’Ahmed Djebbar, on peut lire un long extrait du « Discours sur l’histoire universelle – Al-Muqaddima ». Extrait :
« Le règne animal s’est alors développé, ses espèces se sont multipliées et, dans le progrès graduel de la Création, il a abouti à l’Homme – l’être doué de pensée et de réflexion -, en s’élevant vers lui, à partir du monde des singes où sont réunis la sensation de la perception et de la pensée en acte. Et ce fut là, après lui, le premier niveau de l’Homme ». (…) Cette possibilité d’évolution réciproque, à chaque niveau de la création, constitue ce que l’on appelle le lien continu des êtres vivants » ! Presque Darwinien, n’est-ce pas?

Hygiène

Plus loin, l’auteur rappelle l’importance de l’hygiène. Il y aurait eu un hammam dans chaque rue de Bagdad ! Ahmed Djebbar rappelle que l’on attribue au prophète le précepte suivant : « Contempler l’eau qui ruisselle, les jardins fleuris et les beaux visages constitue un enchantement pour l’esprit et le corps ».

La quête des sources d’information revient régulièrement dans l’ouvrage. Hunayn Ibn Ishaq a écrit dans les « Dix épitres sur l’œil » parlant d’un manuscrit grec « Je l’ai cherché d’une manière minutieuse et pour le trouver, j’ai arpenté, de long en large, l’Irak, la Syrie, la Palestine et l’Égypte jusqu’à ce que j’arrive à Alexandrie https://www.inter-ligere.fr/a-lire-les-sept-cites-du-savoir-note-1-2/ Mais je n’ai pu en récupérer que la moitié, à Damas ». Incroyable époque où l’on devait parcourir plusieurs pays pour rechercher la connaissance !

La chimie

Dans ce dernier chapitre, Ahmed Djebbar parle notamment de l’alcool et des boissons distillées même après l’avènement de l’islam. On l’a évoqué plus haut à propos de la consommation de Haroun al-Rachid.
Il évoque aussi l’épopée du papier, qui aurait été selon les témoignages arabes, subtilisé aux Chinois après la bataille de Talas en 750. Mais selon d’autres sources, qu’il qualifie de plus fiables, le papier était déjà connu en Perse avant l’Islam. Ce serait l’empereur Khusru I qui en aurait commencé l’importation de Chine. La capacité à produire du papier a été une véritable révolution dans le partage des savoirs.

Au final, un ouvrage intéressant. Qui remet bien des pendules à l’heure.

Quelques images pour finir :

Image Gérard de Crémone

Gérard de Crémone
Miniature représentant le médecin Rhazès, dans le recueil des traités de médecine de Gérard de Crémone, vers 1250-1260 – Wikimedia Commons

Al-Khwarismi
Image al-Khwarismi
Une page du traité d’al-Khwarismi, Kitab al jabr wa’l muqabala. – Wikimedia Commons

Sur le sujet de l’islam, on pourra consulter ces autres articles

À lire : La diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite. Par Pierre Conesa 1/3
Compte rendu : Révolution dans le monde arabe.
À écouter : Pourquoi des djihadistes ? Cinq émissions sur France Culture.
À lire : « Le Coran révélé par la Théorie des codes » ou les origines du Coran.

Jérôme Bondu

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