J’ai lu l’ouvrage de Jean Guisnel « Histoire secrète de la DGSE – au cœur du véritable bureau des légendes ». J’ai trouvé l’ouvrage très intéressant. Ce livre participe au grand mouvement de communication entamé par les services secrets. Il y a eu il y a quelques mois une exposition à La Villette. Et surtout la série Bureau des Légendes, d’Eric Rochan, qui fait un véritable carton. L’ouvrage a été édité en 2019.
Histoire secrète de la DGSE
L’ouvrage détaille les différentes structures de renseignement, leurs zones d’intervention. Le livre se lit comme un roman. Parmi les passages les plus palpitants, il y a la présentation de quelques missions, dont la tentative de libération de Denis Allex.
L’auteur a une belle plume, ce qui est un minimum pour un journaliste. Certains passages ou citations sont savoureux. Comme quand il rappelle que Roosevelt déclarait à propos du dictateur nicaraguayen Anastasio Samoza « C’est peut-être un fils de pute, mais c’est notre fils de pute ! ». Ou à propos d’Einstein « La vraie marque de l’intelligence n’est pas la connaissance, mais l’imagination ».
Souveraineté numérique
J’ai aussi beaucoup aimé les prises de position sur la souveraineté numérique et les pamphlets anti GAFAM de l’auteur. Écoutons-le : « Au chapitre des menaces pesant sur la souveraineté d’États comparables à la France, il faut bien placer ces toutes jeunes entreprises technologiques américaines à la puissance croissante et tentaculaire rassemblées sous l’appellation générique de GAFAM. Connaissant tout de la population mondiale connectée, ces entreprises sont un atout cognitif colossal pour les États-Unis. Elles siphonnent les connaissances, entrent dans l’intimité de la population mondiale, spolient outrageusement les États tiers grâce au jeu des optimisations fiscales, rachètent en quatrième vitesse des entreprises émergentes pour capter leurs compétences » (p 336). Et plus loin évoquant une conversation avec un cadre de la DGSE « Le terrorisme c’est pénible, mais ce ne sont que des coups de canif. Les vrais enjeux sont industriels et économiques ». C’est bien dit.
J’ai beaucoup écrit sur le sujet. Voir notamment cet article pour l’Association nationale des auditeurs de l’IHEMI (à l’époque cela s’appelait l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice) et cet article pour le Cercle K2.
Fragilité de l’infrastructure d’internet
La souveraineté est un sujet. La fragilité de l’infrastructure d’internet en est un autre : « La DGSE craint aussi l’informatisation générale des sociétés contemporaines, l’omniprésence d’internet et les vulnérabilités criantes de pans entiers de l’économie, y compris les systèmes de santé, de transport et d’énergie, tous cyberdépendants, tous gérés à distance par des systèmes d’acquisition et de contrôle des données (SCADA) d’une fragilité patente ». (p350) Là encore, l’auteur dit en quelques mots des vérités utiles.
Jean Guisnel reprend en conclusion les mots du président Macron qui appelle à la constitution d’un renseignement européen : « Nous n’avons pas d’autres choix que d’additionner nos forces si nous voulons gagner notre autonomie stratégique et finalement notre véritable souveraineté ». Tout cela me parait très pertinent.
Ouvrage de connaisseur
Très léger bémol pour finir : Jean Guisnel ne s’adresse pas forcément au néophyte, mais à celui qui a déjà une certaine culture du renseignement. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde, et en tout cas pas la mienne. Certains passages m’ont ainsi semblé difficiles à suivre. Par exemple les querelles de chapelle entre grands chefs, les rivalités de rattachement du COS et du SA (il y a beaucoup de sigles dans le livre) … ne sont pas les parties les plus accessibles, ni à mes yeux, les plus passionnantes. Mais il en faut pour tout le monde… C’est en tout cas un bon ouvrage de culture générale pour les professionnels de la veille et de l’intelligence économique.
Intelligence économique
Mais attention pas d’amalgame … La profession s’est longtemps débattue pour éviter toute confusion. Pour preuve ces deux articles de 2010 et 2018 :
- Amalgame entre l’espionnage et intelligence économique.
- Y a-t-il des amalgames entre espionnage et intelligence économique ?
heureusement, nous sommes sortis de ces débats forts peu utiles.
Si vous voulez continuer ce type de lecture, voici deux gros ouvrages très documentés qui offrent une vision historique du monde du renseignement. Ecrits sous la direction d’Eric Denécé et Patrice Brun :
- Renseignement et espionnage pendant l’antiquité et le Moyen Âge.
- Renseignement et espionnage – Renaissance & Révolution.
Lien vers le bureau des légendes. « Histoire secrète de la DGSE – au cœur du véritable bureau des légendes » est édité chez bureau des légendes.
Au final, un livre à lire.
Jérôme Bondu