Skip to main content
Géopolitique

A lire : Guerres d’influence de Frédéric Charillon

By 20 juillet 2022No Comments
Guerres d'influence

J’ai lu le livre « Guerres d’influence – Les États à la conquête des esprits » écrit par Frédéric Charillon. Le livre est édité chez Odile Jacob.

Je précise comme pour chacune de mes notes de lecture que ce texte n’est ni un résumé ni une synthèse. Il n’est qu’une interprétation libre des propos de l’auteur. N’hésitez pas à consulter mes autres notes de lecture).

L’auteur de Guerres d’influence

Frédéric Charillon est professeur des universités de science politique à l’université Clermont-Auvergne, coordonnateur des enseignements de Questions internationales à l’ENA, conseiller diplomatie et défense à l’ESSEC. Il enseigne également à Sciences Po et à l’Université Euro-Méditerranéenne (Fès). Il a cofondé et dirigé l’IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’École militaire).

Le livre de Frédéric Charillon porte sur l’influence dans les relations internationales.

Qu’est-ce que l’influence ?

En introduction, Frédéric Charillon rappelle que l’influence a souvent une connotation péjorative pour trois raisons : son exercice est vu dans les relations internationales comme une atteinte à la souveraineté, un exercice de domination et relève d’un agenda caché. Mais l’influence a aussi des effets positifs : c’est un substitut aux conflits armés et cela peut permettre de stabiliser une situation.

La première partie analyse le concept d’influence

L’auteur présente la dynamique des trois « I » : interdépendance, immixtion, influence. Comme les États sont de plus en plus interdépendants, pour minimiser leur vulnérabilité, ils s’immiscent dans les affaires des autres pays. Cette immixtion qui pouvait être brutale dans le passé prend aujourd’hui la forme de l’influence.

La seconde partie distingue trois modèles d’influence

Le modèle d’influence libéral et démocratique

Frédéric Charillon analyse d’abord l’influence américaine et son origine. Il rappelle à ce titre l’extraordinaire puissance accumulée par les États-Unis, et le principe de transitivité qui fait que cette puissance irrigue tous les secteurs d’excellente, qui se renforcent les uns les autres. Un des points forts se situe dans l’industrie du divertissement et de la communication. Cette surpuissance a son revers : elle inquiète !

Le modèle d’influence autoritaire

Le modèle autoritaire vise à pérenniser un régime, et passe par le développement d’offensives déstabilisatrices. Ce modèle est incarné par la Chine, la Russie et la Turquie. Ces pays veulent affirmer une puissance, réviser le passé, restaurer leur grandeur. En opposition au smart power, ils vont utiliser le sharp power, composé de politiques agressives et subversives. La Chine pourra compter sur les Instituts Confucius, les ONG gouvernementales (oxymore qui a donné l’acronyme GONGO … que l’on pourrait traduire par organisation gouvernementale non gouvernementale :-), sa diaspora, sa politique de recrutement de talents, son incroyable système de crédit social, la route de la soie … Sur ce dernier point, l’auteur souligne deux effets pervers : le piège de la dette et la construction d’infrastructures duales civile mais qui pourra servir à des fins militaires. La Russie pourra compter sur sa diaspora et son attachement à la Rodina (mère patrie), les réseaux orthodoxes, des médias internationaux, et des méthodes plus brutales, comme l’habileté à manier les rumeurs…

Le modèle d’influence prosélyte

Le modèle prosélyte mêle les solidarités communautaires (surtout confessionnelles) et le réseau financier. L’auteur développe abondamment les monarchies du Golfe et notamment l’influence qatarie qui passe par de multiples vecteurs : mécénat culturel et académique, diplomatie sportive, financement de centres de recherche, l’information avec Al-Jazira. Mais Frédéric Charillon souligne que ce type d’influence a ses revers, notamment par ce qu’en liant croyance et argent, « elle déclenche un dynamique de surenchère ».

La troisième partie pose la question: Quelle stratégie d’influence pour l’Europe ?

L’Europe brille par la bataille des idées

L’Europe brille par la bataille des idées, l’expertise, la fixation des normes … Mais est-ce suffisant ? L’auteur rappelle que « l’influence se construit à partir d’une identification des intérêts, des objectifs et des priorités ». Or rien de tel à l’échelle de l’UE. De l’idée à l’action d’influence, il y a un pas qui est difficile à faire. Pour que la transmission s’opère, il faut trois éléments : une production intellectuelle soutenue, une courroie de transmission entre chercheurs et décideurs, des passerelles régulières entre les deux mondes. L’Europe « est devenue un théâtre davantage qu’un acteur ».

Influence intraeuropéenne

L’Europe pratique l’influence, mais en interne, entre ses membres, beaucoup plus qu’à l’extérieur dans une optique de conquête pour des bénéfices communs. Ce qui permet à des acteurs extérieurs de placer facilement leurs pions, comme le fait la Chine qui, par exemple, a pu bloquer la publication de textes critiques sur les droits de l’Homme. Nous sommes dans une « Europe végétarienne dans un monde de carnivores » comme l’a dit Sigmar Gabriel. Ou cette variante « Les Américains viennent de Mars, les Européens viennent de Vénus » comme l’a dit Robert Kagan. Frédéric Charillon passe en revue les principaux pays « Le bon élève britannique », « Le charme discret de l’influence allemande », les « lacunes françaises ».

Influence française

A titre des lacunes françaises en matière d’influence, Frédéric Charillon souligne :
– Le fait que les Français se satisfont de briller intellectuellement dans les pourparlers internationaux sans chercher à obtenir des avantages concrets.
– Le fait que notre pays centralisé croit à l’influence par décret.
– La certitude que la présence (réseau diplomatique) fasse l’influence.
– La recherche d’un poste prestigieux (par exemple à Bruxelles) qui rend le titulaire tributaire de ceux qui lui ont permis d’y parvenir.

Que faire pour maximiser l’influence ?

– Avoir une stratégie orchestrée.
– Rester fidèle à ses valeurs et éviter les sirènes du sharp power autoritaire. Défendre à tout prix la liberté d’expression. Même si l’ère de la « post vérité », qui a été incarnée au plus haut niveau par Trump, est une arme redoutable, car elle permet de nier le réel sous couvert d’un droit à la perception, au ressenti, à l’émotionnel.
– Sensibiliser et éduquer aux enjeux de l’influence et à la protection. Frédéric Charillon écrit qu’il faut une « sensibilisation des entreprises à l’intelligence économique, des élus, agents de l’État, intellectuels et chercheurs aux tentatives d’approche dont ils pourraient faire l’objet ». Je n’aurai pas mieux dit… et mes formations en intelligence économique sont disponibles pour tous (placement de produits 🙂
– Il prône une bataille pour l’autonomie stratégique.

En conclusion, trois scénarios de guerres d’influence

Trois scénarios :
– Le retour des sphères d’influence à l’ancienne qui nous ramènerait au « choc des civilisations » de Samuel Huntington.
– L’apparition de « joint-ventures » étatiques « comme autant de nouveaux partenariats stratégiques dans lesquels différentes puissances s’accorderaient ».
– Une « multiplication des affrontements entre influences d’État et influences privées ».

Frédéric Charillon finit par quelques certitudes :
– Nous allons vers une bataille des valeurs entre une démocratie libérale et une pratique autoritaire.
– Dans un monde d’influence, il faudra cultiver un recul critique de plus en plus difficile.
– L’influence n’est pas mauvaise en soi, elle constitue simplement un nouveau champ de bataille … ou de guerres d’influence.

Plan du livre : Guerres d’influence

Première partie : Influencer

– Chapitre 1 : Ce qu’est l’influence
– 2 : Le monde dans un entre-deux stratégique
– 3 : Diplomaties d’influence
Deuxième partie : trois nuances d’influence
– Chapitre 4 : convaincre et attirer : le modèle démocratique libéral américaine
– 5 : Nuire, intimider ou se défendre ? Le modèle impérial
– 6 : Rémunérer la croyance, ou le modèle golfique
Troisième partie : Sommes-nous prêts : Quelle stratégie d’influence pour l’Europe ?
– Chapitre 7 : Les nouvelles niches de l’influence
– 8 : L’Europe démunie, ou le prix de l’angélisme
– 9 : Survivre dans un monde d’influence

Autres références sur le thème des guerres d’influence

Articles

Formations sur l’influence

Bonne lecture

Jérôme Bondu

Leave a Reply

Clicky