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Guerres et conflits : sommes-nous violents par nature ou par culture ?

By 15 janvier 2017janvier 14th, 2022No Comments
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Quelle est l’origine des guerres et conflits ? Voici le compte rendu de la conférence de Marylène Patou-Mathis au Club IES. On pourra aussi visionner la vidéo de son intervention. Ce compte rendu a été écrit par David Commarmond avec ma participation. Bien sûr comme pour chaque compte rendu, cela ne reflète que ce que nous en avons compris et n’engage pas l’intervenant.
Voir la présentation du Club IES.


Pourquoi des guerres et conflits ?

Les guerres et conflits ont forgé une partie de notre histoire tout au long des millénaires. Ils ont contribué à influencer notre imaginaire et notre vision du monde. Cette violence trouve-t-elle ses racines dans les premiers âges de l’humanité ou est-elle plus récente ? Est-elle naturelle ou culturelle ? De quelles preuves archéologiques disposons-nous pour résoudre cette énigme ?

Marylène Patou-Mathis est une préhistorienne spécialiste des comportements des Néandertaliens. Elle est directrice de l’équipe « Comportements des Néandertaliens et des Hommes anatomiquement modernes replacés dans leur contexte paléoécologique ». Au travers de l’étude de l’alimentation, de la chasse et des comportements sociaux des premiers hominidés, elle nous apporte des réponses.

Quelle sont les conditions de vie des chasseurs cueilleurs ?

Le cannibalisme rituel

Si le cannibalisme est aujourd’hui l’acte le plus violent qu’un être humain puisse commettre sur un autre membre de son espèce, cet acte est circonscrit dans notre imaginaire à des populations reculées géographiquement comme la Papouasie Nouvelle-Guinée ou d’Indonésie. Autant dire des cultures particulièrement lointaines et isolées pour nous autres occidentaux. Et encore, parmi ces peuples, nombre de ceux-ci ont arrêté la consommation de chair humaine depuis presque un siècle. Pour trouver des actes similaires dans notre culture, il faut rechercher des épisodes tragiques de famine, de naufrage ou de détresse qui ont acculé des groupes à commettre cet acte.

Au vu du matériel humain étudié à Gran Molina site datant de 780 000 ans, de Baume Monta-Guercy en Ardèche (100 000 ans), Gasgh dans le Somerset (87 000 ans), ce cannibalisme des temps anciens (comme le révèle les ossements retrouvés) est soit rituel, soit alimentaire, mais non précédé de violence. Il concerne dans une grande majorité de cas soit un nombre peu élevé d’individus (un ou deux membres de la tribu) soit une autre tribu. Cette pratique s’étend sur plusieurs millénaires.

L’impact de l’environnement

Pour mieux comprendre cette pratique, il faut comprendre l’environnement des chasseurs-cueilleurs. La race humaine a frôlé l’extinction il y a six millions d’années : Les groupes humains sont peu nombreux. La population humaine sur la zone qui sera l’Europe avoisine le million d’individus. Il n’y a donc « pas foule » sur le continent, les communautés humaines réunissent environ une trentaine d’individus et chacun de ses membres est important. Chaque personne remplit dans le groupe un rôle essentiel : une force de travail, une capacité de reproduction, est dépositaire d’un savoir-faire et de connaissances. Perdre un ou plusieurs membres est un drame qui peut mettre la survie du groupe en jeu.

Période glaciaire

Le contient Européen présente pendant la période glaciaire un climat rude (même si les préhistoriens du 19e et 20e siècle en ont exagéré la description). Ce continent offre de vastes territoires de chasse, des zones de climats plus ou moins favorables, les saisons sont marquées et les chasseurs-cueilleurs se déplacent au gré de leurs besoins, de camps en camps pour des périodes plus ou moins longues. Ils suivent les déplacement des troupeaux de cervidés, d’animaux sauvages qui parcourent les plaines et qu’ils chassent. Les glaciers retiennent l’eau, ils permettent de passer d’un territoire à un autre, le niveau de la mer, beaucoup plus bas, libère de larges vallées aujourd’hui englouties. Ce qui sera l’Angleterre est encore relié au continent.

La place de l’animal

L’animal dans la société des chasseurs-cueilleurs occupe une place centrale. Ces derniers lui vouent un immense « respect ». L’acte de chasse ne s’apparente pas à une boucherie, c’est un acte sacré. On prélève ce dont la tribu a besoin. La distance entre l’homme et l’animal est faible. L’animalisation de l’homme dans ce contexte est moins incompréhensible. Le sacrifié est associé à une dimension spirituelle. Dans certains cas, pour conjurer « un sort », quelque chose qu’il ne comprend pas, l’homme néandertalien choisi de sacrifier parmi ses frères, une personne importante.

La chasse est dangereuse

La chasse est dangereuse, les accidents sont nombreux et il n’est pas rare de voir revenir des hommes blessés. Parfois les pertes sont importantes et les accidents mortels peuvent mettre en jeu la survie du groupe.

Les corps retrouvés dans les nécropoles et qui ont été étudiés, présentent souvent des traces de projectiles, pieux, chocs, mais il est difficile voire impossible de savoir si le coup porté est volontaire ou non. Si dans 90 % des cas la cicatrisation se faisait sans problème, il n’en demeure pas moins que c’était une activité risquée, laissant des traces sur les corps.

Quand la mort survient, le défunt peut conserver encore des liens dans la communauté. En effet le traitement rituel des ossements laisse apparaître après la mort un usage cérémoniel, comme par exemple l’utilisation du crâne comme récipient (coupe). La signification de ces actes est perdue : Lien entre mort et vivant ? Cérémonie du passage à l’âge adulte ?

Le peuplement demeure faible

Pendant toute la période glaciaire le peuplement demeure faible et la population croît très lentement. Le territoire est riche en animaux et plantes. La société qui en découle est basée sur le partage et la coopération, elle a peu de hiérarchie. Les tombes reflètent cet état d’esprit. Les sources archéologiques de ces périodes montrent en effet des tombes homogènes, avec peu d’éléments distinctifs.

Au final les sites sur lesquels on peut voir des actes de violence, de guerres et conflits avérés sont rares. Il y en a néanmoins quelques-uns : il y a des traces certains de conflit sur le « site 117 », une nécropole de 59 squelettes, où sur plusieurs siècles des corps ont été enterrés. Ou encore sur le site de Nataruk ou 27 individus et 14 squelettes ont été enterré, la grande majorité des corps semblent être liés à des conflits interpersonnels.

Qu’est-ce qui est à l’origine de ces violences, guerres et conflits ?

Au néolithique, plusieurs ruptures interviennent :

Le réchauffement modifie les territoires

Au niveau climatique, le réchauffement modifie les territoires, libère de nouveaux espaces et en fait disparaître d’autres. Ces changements se retrouvent dans les peintures qui nous sont parvenues. La démographie augmentant, les chasseurs-cueilleurs deviennent plus « sédentaires », la pression se fait plus forte sur les individus et l’exploitation des ressources. Peu à peu, le sens de la propriété prend forme ainsi que la spécialisation des individus. Le surplus de production engendre de nouveaux besoins de stockage (silos), de nouveaux circuits d’échanges et de commerce. Tandis qu’en parallèle se poursuit l’évolution de la domestication des animaux et des plantes.

L’apparition de castes

Ces évolutions modifient la société et son organisation avec l’apparition de castes, de chefs, le développement du patriarcat. L’homme devient une figure importante et les divinités deviennent masculines.

Ces évolutions ne sont pas sans impacts négatifs. Par exemple le cochon, nouvellement domestiqué, partage l’environnement proche des hommes. Au fil des générations, la proximité permet aux virus de migrer et de déclencher des épidémies. Épidémies incomprises par les populations, qui pour mettre tenter de les éradiquer sacrifie aux forces de la nature une femme et/ou un enfant.

La propriété des champs

L’agriculture transforme profondément la société et les sépultures. Et de nouvelles questions se posent comme celle de la propriété des champs, et des surproduction contenues dans les silos ! La réponse est apportée par le plus fort : on voit transparaitre dans les restes archéologiques des classes sociales, des propriétaires entouré de travailleurs. On retrouve cette hiérarchie dans les tombes, ou au centre, le chef décédé est entouré de sacrifiés. L’analyse du corps du « chef » montre que celui-ci a eu toute sa vie une bonne alimentation, tandis que les « travailleurs » présentent des carences. La pratique des sacrifices est plus régulière et concerne les mêmes groupes familiaux.

La maîtrise des métaux et la métallurgie est une autre étape qui permet l’apparition de trésors et de caches, et le développement du culte du guerrier. L’arc est une innovation technologique qui bouscule les équilibres et transforme la chasse.

A cette époque, les Néandertaliens disparaissent et seul subsiste Sapiens. Et l’idée principalement rependue est que les Néandertaliens sont des brutes féroces. Pourquoi une telle différence entre les preuves archéologiques et notre imaginaire ?

Pourquoi cette croyance dans une violence primitive ?

Cette croyance est partagée par une vision scientifique et populaire depuis longtemps.

Le passé archaïque est vu comme primitif

Pour les scientifiques, le passé archaïque est vu comme primitif. Ce qui est sauvage est inférieur et donc simiesque. Ce paradigme est dominant pendant tout le 19e siècle et une bonne part du 20e siècle, jusqu’à encore récemment. On le retrouve dans l’iconographie, la littérature, les expositions et bien d’autres sciences. Les musées véhiculent cette image, justifiant la continuité de cette violence et donc du comportement. Ainsi le musée de l’armée présente dans ses vitrines les armes de chasse comme des armes de guerre. Les magazines illustrés diffusent de nombreuses histoires. Les romans préhistoriques deviennent un genre en eux-mêmes, la guerre du feu est l’un des plus connu qui nous sont parvenus. Le ressort de la violence, guerres et conflits, étant récurrent.

L’homme est un loup pour l’homme

Par exemple Thomas Hobbes philosophe anglais du 16e siècle a une influence considérable sur la pensée occidentale concernant la nature de l’homme (auteur du « Léviathan »). Il est l’un des premier à imaginer l’État de nature comme un état préexistant à la société de l’homme. Hobbes décrit les relations humaines comme un état de “guerre de tous contre tous”, dominé par la bestialité des rapports. Et c’est à partir de ce postulat (il est l’auteur de “l’homme est un loup pour l’homme”), qu’il bâtit sa théorie du Léviathan : “Tout ce qui résulte d’un temps de guerre, où tout homme est l’ennemi de tout homme, résulte aussi d’un temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle que leur propre force et leur propre capacité d’invention leur donneront. Dans un tel état, il n’y a aucune place pour une activité laborieuse, parce que son fruit est incertain; et par conséquent aucune culture de la terre, aucune navigation, aucun usage de marchandises importées par mer, aucune construction convenable, aucun engin pour déplacer ou soulever des choses telles qu’elles requièrent beaucoup de force; aucune connaissance de la surface de la terre, aucune mesure du temps; pas d’arts, pas de lettres, pas de société, et, ce qui le pire de tout, la crainte permanente, et le danger de mort violente; et la vie de l’homme est solitaire, indigente, dégoûtante, animale et brève”.

La horde primitive

Autre exemple Freud, passionné d’archéologie, développe sa thèse œdipienne sur la horde primitive, dans le célèbre livre Totem et Tabou (1912) : « Dans la horde primitive, les fils, auxquels le père interdit l’accès aux femmes, se révoltent, tuent le père et le mangent. Tous les instincts se déchaînent au cours d’une fête. Mais le complexe paternel est ambivalent. Le père était haï, mais aussi aimé et admiré. Les fils, après leur crime, ressentent un fort sentiment de culpabilité. Loin de se partager leurs mères et leurs sœurs, ils y renoncent et instituent l’exogamie. Seul le sacrifice de l’animal totémique, avec la consommation de sa chair, va commémorer, à une date rituelle, l’événement originaire. »

Pour conclure

D’après les dernières données archéologiques ces théories sont erronées. Nous ne descendons pas d’un singe tueur, la sauvagerie intérieure est une construction mentale. La vision d’un monde composée de guerres et conflits est fausse. L’empathie, l’altruisme serai des catalyseurs de l’humanisation.
La guerres et conflits n’apparaissent pas comme consubstantielles de la nature humaine, mais comme des produits de la société et surtout de la possession. La violence est un antidote à la peur, comme les dieux, les esprits qui sont présents dans toutes les civilisations. La violence est donc « culturelle » plus que « naturelle » !

Marylène Patou-Mathis est intervenue le 24 novembre 2016 au Club IES. Cette explication de sources des guerres et conflits était passionnante.

David Commarmond & Jérôme Bondu

Pour en savoir plus :
Hominides et Monde Diplo
Voir la conférence d’Ali Laïdi sur l’Histoire de la Guerre économique Mondiale

Source image : Wikipedia

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