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Gestion des connaissances

A lire : Servitudes virtuelles de Jean-Gabriel Ganascia (1/2)

By 27 juin 2022juin 28th, 2022No Comments
Servitudes virtuelles

J’ai lu Servitudes virtuelles de Jean-Gabriel Ganascia. Voici une note de lecture qui n’est ni un résumé ni une synthèse. Simplement quelques notes issues d’une lecture attentive de l’ouvrage. Les phrases entre guillemets sont de l’auteur. Le livre a été offert par le service presse de l’éditeur au collectif #ReEnchanterInternet. (lire la seconde partie de cette note de lecture).

Servitudes virtuelles de Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia est professeur à Sorbonne Université, où il mène des recherches sur l’intelligence artificielle au LIP6. Il a présidé le Comité d’éthique du CNRS et a déjà publié divers ouvrages au Seuil, dont le précurseur L’Âme machine (1990) et Le Mythe de la Singularité (2017), qui a connu un réel succès et a reçu le prix Roberval.

La 4e de couverture  de Servitudes virtuelles est éloquente quant aux propos de l’auteur. Extrait : « Nous ne vivons plus dans les fers. Pourtant, nous le constatons, nous ne sommes pas vraiment libres ; nous nous prenons de plus en plus souvent aux rets du numérique dont nous devenons captifs. Les flux de données – textes, images, sons – qui attestent, trahissent, influencent nos vies affectives, personnelles et professionnelles, sont manipulés à notre insu par les techniques de l’intelligence artificielle. Il en résulte une évolution majeure de la condition humaine, qui rend nécessaire et urgente une réflexion sur les conséquences politiques, sociales et même morales des technologies de l’information et de la communication. »

Jean-Gabriel Ganascia présente dans les premiers chapitres une sorte de boussole numérique qui représente quatre états de notre vie : Hors vie ; En ligne ; En vie ; Hors vie. Puis il analyse les impacts du virtuel dans quatre domaines : L’autonomie face au virtuel. La bienfaisance et non-malfaisance du virtuel. La justice numérique. La transparence. Pour conclure sur la servitude virtuelle.

Chapitre : Hors vie

Jean-Gabriel Ganascia critique Noha Yuval Harari qui définit trois stages de développement de l’Humain : l’âge des religions, l’âge de l’humanisme, l’âge du dataïsme. Car selon l’auteur nous baignons dans l’idée de la supériorité des machines. Mais c’est une erreur. Cette supériorité est fallacieuse :
– Les machines ne sont pas objectives ni rationnelles et reflètent les biais des concepteurs (lire ma note de lecture De l’autre côté de la machine d’Aurélie JEAN).
– L’Intelligence Artificielle utilise des mécanismes que nous sommes incapables d’expliquer, de reproduire et de critiquer.

Chapitre : En ligne

Les promesses d’implants cérébraux et d’extension des mémoires humaines font miroiter des perspectives prodigieuses. Mais l’auteur les dénonce toutes :
– D’abord, la perspective de mémoire infinie peut se révéler très compliquée à porter. L’oubli permet d’effacer les atrocités commises dans le passé.
– L’authenticité du contenu qu’une personne pourra « télécharger » ne pourra pas être validée.
– L’ouverture des données à tous rendrait impossible l’intimité entre êtres humains.
– Enfin, nous assisterions à une disparition de la liberté de penser.
En réalité, nous voyons éclore un système généralisé de profilage des internautes. Et l’auteur rappelle que le terme profilage renvoie à la psychologie criminelle, ce qui est pour lui riche de sens.

Chapitre : En vie

Ce chapitre traite de la modification de nos perceptions : l’amitié, la confiance entre personnes (que la blockchain va rendre inutile, voire ringardiser), la réputation et le partage … Toutes ces perceptions se réécrivent au travers du numérique. Extrait : « l’essentiel de la réputation tient désormais au recueil incessant et systématique de données personnelles et à des calculs opaques faisant appel à des procédures d’intelligence artificielle, alors qu’il y a peu, elle résultait du colportage d’anecdote … ».

Il cite Antonio Casilli dont j’ai lu récemment le dernier ouvrage « En attendant les robots »  et évoque la tâcheronnisation « à savoir une réduction de chacun à l’état de tâcheron ».

Paul Valéry et la conquête de l’ubiquité

Il cite un magnifique passage de Paul Valéry dans « La conquête de l’ubiquité ». Paul Valéry s’interrogeait sur la reproduction, le partage et la transmission des œuvres d’art. Il imagine que dans l’avenir nous saurons transporter ou reconstituer en tout lieu le système de sensations et d’excitations. Cela préfigure étonnamment bien le wifi et l’accès à internet :
« Comme l’eau, comme le gaz, comme le courant électrique viennent de loin dans nos demeures répondre à nos besoins moyennant un effort quasi nul, ainsi serons-nous alimentés d’images visuelles ou auditives, naissantes et s’évanouissant au moindre geste, presque à un signe. Comme nous sommes accoutumés, si ce n’est asservi, à recevoir chez nous l’énergie sous diverses espèces, ainsi trouverons-nous fort simple d’y obtenir ou d’y recevoir ces variations ou oscillations très rapides dont les organes de nos sens qui les cueillent et qui les intègrent font tout ce que nous savons. Je ne sais si jamais philosophe a rêvé d’une société pour la distribution de Réalité Sensible à domicile. »

Cela me fait penser aussi à la prescience de Paul Otlet qui en 1936 écrivait ce qui aussi est une préfiguration d’internet.

Jean-Gabriel Ganascia évoque aussi dans Servitudes virtuelles le lien particulier entre un artiste, son œuvre et l’amateur qui le regarde. Il souligne la triste disparition de ce lien avec la multiplication numérique des œuvres. Il file la réflexion vers la « société du spectacle » de Guy Debord. Cette hyperreproductibilité et hyperdiffusabilité des œuvres tend à mesurer la valeur des œuvres uniquement à l’aune de leur commercialisation.

Intelligence collective contre censure globale

En retraçant l’histoire du web et du partage des informations, il rappelle la communauté virtuelle « Whole Earth ‘Lectronic Link » Well. Et remonte même à l’association révolutionnaire créée en 1790 « La société du Cercle Social » qui imagina une communication ouverte aux citoyens « sans frein et incessante, par l’écrit, grâce aux nouvelles technologies de l’époque, le réseau de malle-poste pour la distribution du courrier et l’imprimerie pour sa réplication ». Il rappelle aussi les « bouches de fer » qui en 1790 et 1791 permettait à quiconque de contribuer aux idées en postant une lettre dans des boites à disposition. Un réseau qui se voulait déjà ubiquitaire pour l’époque.

À côté de ces multiples tentatives de création d’intelligence collective, l’auteur nous met en garde contre les multiples possibilités de censure sur l’internet actuel ! Servitudes virtuelles de Jean-Gabriel Ganascia est à lire.

(Lire la seconde partie de cette note de lecture).

Jérôme Bondu

Voire aussi mes Conseils de lecture en intelligence économique / 200 livres analysés / 20 ans de lecture

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