J’ai lu et beaucoup aimé « L’enfer numérique – voyage au bout d’un like » de Guillaume Pitron. Le livre est édité en 2021 chez LLL (Les Liens qui Libèrent). Voici mes notes publiées en deux billets (lire la suite).
Guillaume Pitron est journaliste et réalisateur de documentaires. J’avais déjà beaucoup aimé « La guerre de métaux rares ». Ce livre est dans la même lignée. Voici le lien vers son site personnel et vers Google Books.
Je précise, comme à chaque fois, que cette note de lecture n’est ni un résumé ni une synthèse, mais une sélection des éléments qui m’ont paru intéressants. J’ai essayé de retranscrire au mieux la pensée de l’auteur. Les phrases entre guillemets sont des citations. Ce billet se veut une incitation à acheter et lire l’ouvrage, en même temps qu’un exercice personnel de compréhension et de mémorisation.
Plan de l’enfer numérique
L’ouvrage est divisé en 10 parties :
– Numérique et écologie : un lien fantasmé
– De la zénitude des smartphones
– La matière noire de l’immatériel
– Enquête sur le nuage
– Une fantastique gabegie d’électricité
– La bataille du Grand Nord
– Expansion de l’univers numérique
– Quand les robots pollueront davantage que les humains
– Vingt mille tentacules sous les mers
– Géopolitique des infrastructures numériques
En introduction de « L’enfer numérique« , Guillaume Pitron rappelle que toutes les grandes inventions ont fait peur aux contemporains : l’imprimerie fut vue au XVe comme « un danger pour l’esprit », la radio comme une atteinte aux bonnes mœurs, la télévision comme un outil de destruction de notre santé mentale. Il n’est donc pas étonnant que le numérique fasse peur. Pourtant l’auteur va décrypter la « face sombre d’une industrie qui ne veut jamais prendre la lumière (…) révéler l’anatomie d’une technologie qui, au nom d’un idéal quasi-mystique de dématérialisation, est en train de produire une modernité prodigieusement matérialiste » ! Nous aurions donc raison d’être inquiets.
Numérique et écologie : un lien fantasmé
Guillaume Pitron présente dans « L’enfer numérique » beaucoup de chiffres pour étayer son propos, résultats de nombreuses recherches et entretiens. Et la conclusion est nette « Le numérique pollue. Énormément. Compte tenu notamment de sa consommation d’eau, d’énergie et de sa contribution à l’épuisement des ressources minérales, ce secteur génère, comme nous l’avons déjà exposé plus haut, une empreinte équivalente à deux ou trois fois celle d’un pays comme la Grande-Bretagne ou la France ». Sans compter la progression de cette pollution. Pourquoi notre de manque de réaction ? « Peut-être parce que « cette pollution est incolore, inodore, ce n’est pas une fumée noire qui sortirait d’une usine », analyse Ines Leonarduzzi ».
De la zénitude des smartphones
Phénomène aggravant, les « purges électroniques » qui visent à se séparer de certains types d’équipement par exemple pour des raisons politiques (les États-Unis qui se séparent d’équipement chinois), techniques (replacement des équipements 4G pour la 5G), économiques (obsolescence programmée)… créent un véritable gâchis. Tout cela produit d’immenses quantités d’équipements parfaitement opérationnels, mais jetés littéralement à la poubelle. Homo sapiens est devenu homo detritus. Les mouvements du libre, des makers, fablabs, … ne font pas (encore) le poids face aux logiques de destruction.
La matière noire de l’immatériel
Pour bien mesurer la pollution de l’industrie numérique, le critère de rejet de CO2 n’est peut-être pas le meilleur. Car « cette méthode comptable éclipse souvent d’autres pollutions, telles que l’impact sur la qualité des eaux dues aux rejets de produits chimiques ». Guillaume Pitron propose le MIPS qui permet de se focaliser sur tous les éléments de la chaine qui permet de fabriquer et utiliser un produit. Soit « regarder ce qui entre dans un objet plutôt que ce qui en sort ». « Le MIPS lève donc le voile sur une chaine de causalités planétaires ». Un exemple tiré hors du monde numérique : si vous portez une bague en or, compte tenu des impacts cumulés de tous outils pour creuser la terre, la produire, la transporter … cela équivaut à un « sac à dos » écologique de 3 tonnes. Cela permet de rematérialiser le numérique. Et la facture est salée.
Pire, plus nous utiliserons des outils légers, plus en réalité leur MIPS risque d’être élevé. Car « plus on élabore des petits objets, plus il faut de grosses machines qui consomment beaucoup d’énergie pour les fabriquer ».
Enquête sur le nuage
Évidemment, le cloud est une parfaite illustration de ce phénomène de dématérialisation. Perçus comme éminemment immatériels, nous sommes face à une solution qui a un impact écologique énorme. Le besoin d’immédiateté lorsque nous nous connectons sur internet demande une multiplication des datacentres, des câbles sous-marins, et autres équipements.
– L’auteur tacle au passage la prétendue protection de l’anonymat et de l’intimité. « Quatre points spatio-temporels [sont] suffisant pour identifier 95% des individus »
– Il évoque la ville d’Ashburn, point de passage quasi obligé pour 70% du trafic internet. Je m’étais intéressé à cette ville il y a quelques années quand j’avais repéré que 7% des consultations de mon site y provenaient. Et l’auteur raconte aussi l’histoire d’un Américain qui a tenté de faire plier la NSA sur la base de la consommation d’eau utilisée pour refroidir ses serveurs. C’est assez cocasse.
Guillaume Pitron fait le parallèle entre le système de crédit social chinois et américain « le système de crédit social chinois est juste une transcription un peu plus manifeste de ce que nous vivons déjà dans les pays occidentaux, constate Liam Newcombe » (chose que j’explique en conférence depuis quelques années, et qui surprend encore beaucoup mon auditoire).
L’économie du gratuit va nous coûter très cher.
Une fantastique gabegie d’électricité
L’électricité sert à alimenter les outils informatiques (serveurs, routeurs …) et à les refroidir. Beaucoup de datacentres sont alimentés par des centrales au charbon. 10 clics sur Amazon, … c’est 3 clics qui consomment du charbon ! Car on estime que dans le mix énergique d’Amazon, le charbon occupe 30%. Un mail envoyé, c’est entre 5g et 20g de carbone selon la taille de la pièce jointe. Et si les GAFAM présentent une pseudo neutralité carbone, c’est uniquement parce qu’a été créé un marché de l’énergie avec des rachats de crédit. C’est du greenwashing et pour citer Philippe Luce une « escroquerie intellectuelle et morale ».
La gabegie commence par notre besoin d’instantanéité et de disponibilité absolue de nos données. De ce fait les hébergeurs sont obligés d’avoir des systèmes redondants. L’auteur évoque ces « serveurs zombies » qui représenteraient jusqu’à « 30% des équipements qui, dans les entreprises, « attendent, ne font rien et qui sont pourtant allumés ».
La bataille du Grand Nord
Guillaume Pitron dans « L’enfer numérique » explique l’attrait des géants numérique pour le Grand Nord où le climat permet de réduire la facture d’électricité liée au refroidissement des datacentres.
Et il présente toute une série d’actions qui permettraient de réduire notre consommation. Il revient sur la problématique de neutralité du net, et cite au passage /E/ fondation de Gaël Duval (que j’ai eu le plaisir d’inviter au Club IES) et dont j’utilise et recommande le système (/E/ fondation s’appelle depuis Murena).
Lire la suite de la note de lecture de « L’enfer numérique« .
Sur les aspects techniques du numérique, n’hésitez pas à nous rejoindre pour la prochaine conférence du Club IES sur la révolution quantique.
Jérôme Bondu
Voir d’autres notes de lecture. Lire la note de lecture sur la « Guerre des métaux rares« .