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Géopolitique

À lire: Le mage du kremlin. Voyage au cœur du pouvoir russe

By 9 novembre 2023No Comments
au coeur du pouvoir russe

J’ai lu « Le mage du kremlin » de Giuliano da Empoli. Roman qui décrit le cœur du pouvoir russe, autour de Vladimir Poutine. C’est un très bon roman qui a été écrit après « Les ingénieurs du chaos ». Le livre a remporté en 2022 le Grand prix du roman de l’Académie française et figurait en finale du prix Goncourt.

Au cœur du pouvoir russe

Vladislav Sourkov

Le héros du livre, Vadim Baranov, est inspiré de Vladislav Sourkov, proche conseiller de Poutine. Durant les années 2000, Sourkov a théorisé les concepts du premier mandat présidentiel de Vladimir Poutine autour de la « verticale du pouvoir » et de la « démocratie souveraine ».

Giuliano da Empoli arrive à faire de Vadim Baranov un personnage presque sympathique. On suit sa logique, ses interrogations, ses quelques scrupules et ses absences de sentiment. D’ailleurs, je ne sais pas ce qu’en pensent les lecteurs, mais l’auteur a la magie de nous faire ressentir le point de vue russe. Et l’on se met à comprendre le raisonnement du maitre du Kremlin, sa détestation de la chute de l’URSS, sa haine du Clinton qui ridiculisa un jour Eltsine par un fou rire incompressible lors d’une conférence de presse, sa colère face aux événements (manœuvres occidentale ?) en Géorgie (révolution rose) puis en Ukraine (révolution orange) … et le sentiment de Poutine qu’il était le prochain sur la liste. C’est un des mérites de ce roman que de nous plonger dans la pensée d’un Poutine et de son conseiller.

Le sens de la formule

Giuliano da Empoli écrit évidemment très bien, et a le sens de la formule. Voici quelques morceaux choisis :
– « L’intelligence ne protège de rien, même pas de la stupidité ».
– « Tous les chefs demandent plus que toute autre chose de la loyauté, mais nombreux sont ceux qui commettent l’erreur de la chercher parmi les médiocres et les faibles. Grave erreur : ce sont toujours les premiers à trahir. Les faibles ne peuvent pas se permettre le luxe de la sincérité. Ni celui de la fidélité »
– « Les discours de Boris se caractérisaient par une qualité circulaire qui le ramenait toujours plus ou moins au point de départ ».
– « Il a une belle différence entre vivre et chercher à ne pas mourir. Eux l’ont oublié, pas nous. Nous sommes ici pour leur rappeler ».

On rentre dans la peau de la Russie de Poutine, et de son entourage au cœur du pouvoir russe :
– « La guerre froide s’est arrêtée parce que le peuple russe a mis fin à un régime qui l’opprimait. Nous n’avons pas été vaincus, nous nous sommes libérés d’une dictature. Ce n’est pas la même chose. »

Glissement du pouvoir vers le numérique

On y gagne aussi des fulgurances sur le fonctionnement du monde, et du monde numérique en particulier. On sort en fin d’ouvrage du cœur du pouvoir russe, et on rentre dans une autre forme d’asservissement :
– « Toutes technologies qui ont fait irruption dans nos vies ces dernières années ont une origine militaire. Les ordinateurs ont été développés pendant la Seconde Guerre mondiale pour déchiffrer les codes ennemis. Internet comme moyen de communication en cas de guerre nucléaire, le GPS pour localiser les unités de combat, et ainsi de suite. Ce sont toutes des technologies de contrôles conçues pour asservir, pas pour rendre libre. »
– « L’individu solitaire, le libre arbitre, la démocratie sont devenus obsolètes : la multiplication des données a fait de l’humanité un seul système nerveux, un mécanisme fait de configuration standard prévisible comme une nuée d’oiseaux ou un banc de poissons ».

Qui surveille qui ?

Autres extraits :
– « Le KGB avait projeté dans les années 50 un système pour fichier toutes les relations de chaque citoyen soviétique. La vertushka (…) en était le symbole. Mais Facebook est allé beaucoup plus loin. Les Californiens ont dépassé tous les rêves des vieux bureaucrates soviétiques. Il n’y a pas de limite à la surveillance qu’ils ont réussi à instaurer. Grâce à eux, tout moment de notre existence et devenu une source d’informations. »
– « Il fut un temps où Dieu voyait tout et enregistrait tout en prévision du jugement dernier, il était l’archiviste suprême. Maintenant, la machine a pris sa place. Sa mémoire est infinie, sa capacité à assumer les décisions infaillibles. Il ne manque que l’immortalité et la résurrection, mais nous y arrivons. (…) L’image du Dieu guerrier qui combat le dernier ennemi, la mort, (…) est en réalité (…) l’ordinateur occupé à l’élaboration du dernier algorithme. »

Cela rentre complètement en résonance avec la dynamique de souveraineté numérique ! Ce glissement du cœur du pouvoir russe au cœur du pouvoir numérique est intéressant.

Sur la Russie, on pourra consulter :

« Le mage du kremlin » de Giuliano da Empoli est édité chez Gallimard en 2022.
Bonne lecture !
Jérôme Bondu

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