Skip to main content

A lire : La société du sans contact, de François Saltiel

By 22 novembre 2025No Comments
sans contact

J’ai lu « La société du sans contact » de François Saltiel, sous-titré « Sefie d’un monde en chute ». J’ai beaucoup aimé cette analyse sans concession de la société numérique. J’y ai retrouvé beaucoup d’idées lues précédemment dans des ouvrages comme « L’homme nu » de Marc Dugain, Jean-Gabriel Ganascia, David Chavalarias, Bruno Patino ou Giuliano da Empoli. Entres autres …

Avertissement : Cette note de lecture ne reflète pas mes idées, et encore moins celles des structures avec lesquelles je travaille. Les phrases entre guillemets sont issues du livre.

Sans contact

François Saltiel esquisse les contours de la société du sans-contact. Comme il le dit dans l’introduction, ce livre n’est pour autant pas technophobe. Il reconnaît la valeur des innovations numériques. Mais cela n’empêche pas d’en détecter les dérives, et notamment celle de l’éloignement des personnes ; de la vie par écran interposé, du sans-contact.

Chapitre 1 L’emprise des réseaux sociaux

Dans ce chapitre François Saltiel dépeint les réseaux sociaux et les pièges cognitifs qui y sont parsemés. Il évoque notamment le « bottomless bowl » conceptualisé par B.J. Fogg. C’est le fil d’actualité sans fin que l’on a sur les médias sociaux. L’auteur évoque aussi le concept de bulle de filtre développé par Eli Pariser, et de la polarisation des comportements. Cette polarisation est voulue pour une raison simple : lorsque l’on est en colère sur un média social, on s’exprime plus, on reste plus sur les plateformes, et au final, on fait gagner plus d’argent à leur propriétaires. CQFD. Et même des scandales comme ceux de Cambridge Analytica n’ont pas permis de casser ces dynamiques délétères. Les politiques semblent impuissants. Comme le dit l’auteur « il semblerait bien que ces entités comme Facebook ou Google soient aujourd’hui suffisamment fortes pour supplanter le pouvoir des politiques devenus dépendant d’elles pour asseoir leur autorité ».

Chapitre 2 L’Empire de la surveillance

Savez-vous qui a dit « Nous savons où vous êtes, nous savons où vous étiez et nous savons plus ou moins ce que vous pensez ». L’auteur pose la question et y répond : Il s’agit d’Eric Schmidt, l’ancien patron de Google. On a souvent comparé le téléphone portable à la télécommande de sa vie. L’auteur va plus loin et estime que la comparaison avec un bracelet électronique serait plus juste. Il reprend le néologisme d’Antonio Damasio « Nous vivons dans une conforteresse », une prison induite par une recherche permanente de notre confort ou plutôt de notre paresse ! J’adore ! « Le panoptique numérique nous met tous désormais en situation de détenus volontaires et de surveillants compulsifs ». Pas avare de néologisme, on découvre le mot « ludictature » ou comment utiliser le jeu pour mieux contrôler et régner. Il évoque la Chine comme la « première dictature numérique de l’histoire » et évoque les Ouïghours et « les camps d’enfermement à l’heure numérique ».

Chapitre 3 Du télétravail au travailleur invisible

Dans ce chapitre François Saltiel présente le concept de « turk numérique » et de digital labor développé par Antonio Casilli.

Chapitre 4 L’amour virtuel, flirt avec l’illusion

Dans ce chapitre plus léger, on y parle de Tinder et autres applications de rencontre. L’auteur explique que l’application vend les données personnelles des utilisateurs, qui sont d’ailleurs notés et catégorisés. Il évoque les poupées sexuelles robotisées qui « sont un miroir narcissique sans tain derrière lequel se tient une entreprise qui jouit de notre solitude par le mirage d’une relation sexuelle et amoureuse. Ils sont la forme ultime du processus de déshumanisation ».

Chapitre 5 La mort et au-delà, la quête de l’immortalité

Dans ce chapitre, François Saltiel évoque l’ingénieur James Vlahos qui le premier a créé un chatbot conversationnel à base d’intelligence artificielle pour pouvoir converser avec son père, atteint d’une maladie qui allait l’emporter. J’en avais parlé dans un article paru en 2020 « Converser avec les morts ».  L’auteur décrit les entreprises qui se sont créées avec comme modèle économique des Dadbot et détaille « les vampires de la Silicon Valley en quête d’immortalité ».
François Saltiel épingle dans ce chapitre Calico, Ray Kuzweil, Elon Musk et bien d’autres promoteurs de la philosophie transhumaniste. Pour rappel, ce sont des personnes qui pensent que « l’avenir se joue entre l’extinction de l’humanité par les machines hyperintelligentes et la naissance d’un homme augmenté salvateur … »

Chapitre 6 Les terres d’exil, vers la fin des États ?

Sans contact … avec l’Etat

Dans ce dernier chapitre, l’auteur rappel les enjeux climatiques, et souligne que les géants de la tech contribuent fortement à la pollution (voir les livres de Guillaume Pitron L’enfer numérique et La guerre des métaux rares). Mais non content de polluer, les magnats de la tech pensent que toutes contraintes (par exemple écologique) est une atteinte à leur liberté. Ils sont libertariens.

Libertariens  ?

François Saltiel explique leur credo en ces termes : « Les libertariens considèrent la liberté comme une valeur fondamentale qui doit guider les rapports sociaux, économiques et le système politique. Ils sont favorables à une réduction du rôle de l’État, voire à sa disparition totale. Une thèse qui milite pour le respect total des libertés individuelles et économiques. Cette philosophie consacre le libre arbitre où l’individu serait en mesure de se réguler seul pour le bien commun. Un individu libéré qui échapperait évidemment à l’impôt, perçu comme un prélèvement injuste qui restreint la liberté d’entreprendre ».

Ou égoïstes au dernier degré  ?

Cette quête de liberté est fallacieuse car elle cache un égoïsme profond des géants de la tech. Je me suis amusé à réécrire ce passage en remplaçant le mot « liberté » par « égoïsme ». Voici ce que cela donne. Vous verrez que l’on perçoit beaucoup mieux ce que sont réellement les libertariens.

« Les libertariens considèrent l’égoïsme comme une valeur fondamentale qui doit guider les rapports sociaux, économiques et le système politique. Ils sont favorables à une réduction du rôle de l’État, voire à sa disparition totale. Une thèse qui milite pour le respect total des égoïsmes individuels et économiques. Cette philosophie consacre l’égoïsme où l’individu serait en mesure de se réguler seul pour le bien commun. Un individu égoïste qui échapperait évidemment à l’impôt, perçu comme un prélèvement injuste qui restreint la liberté d’entreprendre ». Ha ben voila, là au moins c’est clair !

Chasse aux prérogatives de l’État

Dans cette vision libertarienne (pardon égoïste) les géants de la tech attaquent toutes les prérogatives de l’État : battre monnaie (Paypal, bitcoin), assurer la sécurité (Palentir), la santé (Calico), la défense (Boston Dynamics), l’éducation (Google) … Ils cherchent aussi à conquérir des territoires où l’État n’est pas, les océans, l’espace, … Fançois Saltiel donne la parole à Jean-Gabriel Ganascia dans les dernières lignes de l’ouvrage « L’État souverain moderne, qui était censé assumé un certain nombre de fonctions, se trouve désormais doublé par les grands acteurs industriels des hautes technologies qui prétendent assumer ces mêmes fonctions à sa place, mieux que lui et à moindre coûts ».

En conclusion, nous sommes tous des citoyens de la société du sans-contact, dépendant des seigneurs de la tech qui ont un projet politique mortifère pour l’État, et profondément égoïste.

La société du sans contact est édité par Flammarion en 2020.
Jérôme Bondu

Leave a Reply

Clicky