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A lire : Tempête dans le bocal de Bruno Patino

By 12 juillet 2025No Comments
Tempête dans le bocal

J’ai lu « Tempête dans le bocal » de Bruno Patino. Le livre est sous-titré « Comment naviguer serein à l’ère de l’ultra-connexion ? ».

Avertissement : Cette note de lecture ne reflète pas mes idées, et encore moins celles des structures avec lesquelles je travaille, mais les idées de l’auteur. Les phrases entre guillemets sont issues du livre.

J’ai déjà lu et beaucoup apprécié deux ouvrages de Bruno Patino :
– Son premier : La civilisation du poisson rouge qui racontait comment nous avons perdu la maitrise de notre temps.
– Son troisième : Submersion.

Dans ce deuxième livre l’auteur file la métaphore de la noyade numérique, et recherche les moyens de naviguer dans la tempête digitale. Il se propose de trouver des solutions.

Habitudes comportementales

Comme dans la Civilisation du poisson rouge, l’auteur part de l’observation des changements de nos habitudes comportementales.
– Il cite dans les premières pages du livre « la dysmorphie Zoom ». Le confinement et l’utilisation extensive des vidéoconférences a mis sur le devant le « miroir déformant de la caméra connecté ». Zoom est devenu notre miroir. Et l’on ne s’y reconnait pas. D’où la popularité de la chirurgie esthétique du nez… que l’on trouve trop gros !
– Il rappelle la vacuité de nos échanges sur les médias sociaux avec les trolls. Et déplore que nous ayons oublié le sage conseil de l’écrivain Antoine Houdar de La Motte « On n’a rien à gagner à répondre à ceux qui n’ont rien à perdre ».
– Bruno Patino rappelle des faits bien connus : on laisse énormément de traces numériques. Nous sommes dans le confort de la résignation. Les médias sociaux créent une polarisation collective.

Emocratie – démocratie de l’émotion

Si TF1 cherchait à capter notre temps de cerveau disponible, les GAFAM cherchent « le temps de passion disponible (…) Cette démocratie est une émocratie, un régime qui rend performatives nos émotions et les font envahir l’espace public ». La première victime de l’émocratie n’est pas la vérité mais la confiance entre les gens ! « Ce ne sont pas les messages qui sont remis en cause, mais leur émetteur ». Cette défiance entre les gens et envers les experts fait le lit des théories du complot (lire Gérald Bronner). « un complot est plus rassurant que l’ignorance, car il organise le désordre et lui donne un sens. Et nous souhaitons tellement être rassurés »…

Libre arbitre

On veut être rassuré ou être influenceur. À propos de la volonté d’influence il rappelle le succès du livre « Les 48 lois du pouvoir » de Robert Greene que j’ai lu et très peu apprécié. J’avais soupçonné une forme de plagiat d’un texte de l’ancien régime. Bruno Patino évoque une lointaine adaptation du Prince de Machiavel.

Une bonne partie de « Tempête dans le bocal » se concentre sur Facebook, détricote la stratégie de Zuckerberg, et analyse nos comportements sur les outils de Meta. A partir de là, Bruno Patino pose les deux grandes questions de notre société à venir « la place du libre arbitre humain dans le monde des algorithmes, et celle du citoyen dans celui de l’hyper capitalisme numérique ».

Pistes et solutions

Le reste du livre est consacré aux pistes et solutions. Je ne serai pas exhaustif. En voici quelques-unes. Elles ne suivent pas le plan du livre, j’ai fait un mélange… Et les titres (qui commencent pas « les secours… » sont de mon cru.

Les secours technologiques

– « Gouverner les monstres » … en l’occurrence les GAFAM et autres BATXH. Mettre en place une gouvernance algorithmique. Imposer l’explicabilité des outils. Il cite Aurélie JEAN.
– Décentraliser les outils d’internet, comme avec le projet BlueBird concurrent de Twitter.
– Construire des alternatives structurelles au web. Il cite l’initiative de Tim Berners Lee de construire « Solid » un web alternatif et décentralisé. Je connaissais l’initiative de Louis Pouzin avec RINA mais pas celle-là …

Le secours des Etats

– Créer des outils sociaux de service public. Bruno Patino cite notamment l’initiative d’Ethan Zuckerman qui « promeut la création de réseaux sociaux de service public, à l’image de PBS, de la BBC, ou des grands services publics européens ». Je m’étais amusé en 2007 à tracer ce type de solution dans un billet qui se voulait prospectif.

Le secours de la psychologie

– Construire les freins de notre addiction numérique.
– Bruno Patino s’appuie sur Bernard Stiegler qui explique que ce qui a uni de manière durable les groupes au fil des siècles a évolué à travers le temps : magie, religion, raison. Avec la révolution numérique, ce sera le calcul algorithmique et la programmation numérique qui fera les liens ! « Le libre arbitre ne serait qu’un concept masquant notre incapacité, temporaire, à comprendre la façon dont nous sommes « programmés », et à exprimer cette programmation sous forme de modèle économétrique ». (Bruno Patino ne le cite pas, mais cela ressemble fort à du Spinoza). Et l’auteur finit sa démonstration avec Shoshana Zuboff et la description du capitalisme de surveillance, et dans une vision dystopique la datacratie ou la datature. Face à cela, est-ce que l’autodiscipline suffira ? C’est peu probable connaissant la force des outils de captologie. Comme il est à ce jour encore difficile de mesurer les effets du numérique, des universitaires ont proposé de mener un « human screenome » sur le modèle de l’analyse du génome humain. Le but serait de comprendre les effets des écrans.

Le secours du droit et de la loi

– Donner aux internautes un droit inaliénable sur leurs données.
– « Le résultat est un chaos qui mêle, dans un éphémère itératif tenant lieu de présent infini, un mélange d’assuétude émotionnelle et de distraction impulsive ». (Dans un autre livre lu juste après, un auteur souligne qu’on pourrait appeler nihilistes ces internautes vivant pour eux-mêmes dans un présent infini). Certains ont une vision très pessimiste : Oliver Sachs prédit une « catastrophe neurologique à grande échelle ». Que faire ? Bruno Patino signale l’initiative du président de la République du Chili, Sebastian Pinera, qui souhaite établir des « neurodroits de la personne ».
– Faut-il laisser le marché faire ? Faut-il légiférer, interdire ? La privation de la liberté de se détruire cognitivement est-elle une liberté ? » Est-ce être libre que de vouloir demeurer enchainé à sa propre servitude ? Bruno Patino répond avec cette belle pensée de Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maitre et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

« Tempête dans le bocal », deuxième livre de Bruno Patino, est édité chez Grasset.
A lire !

Jérôme Bondu

 

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