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Gestion des risques

CR : Le système international de lutte contre le blanchiment

By 13 décembre 2007juin 4th, 2023No Comments
lutte contre le blanchiment

Compte rendu de la conférence sur la lutte contre le blanchiment, du 25 septembre 2007 organisée par le Club Intelligence Economique et Stratégique, en partenariat avec LexisNexis et le Club IE de l’AA ESIEE.

Le système international de lutte contre le blanchiment

Conférence animée par François Werner.
Présentation du thème
Il n’y a pas que les banques, ou les très grandes entreprises qui peuvent être la cible d’actions frauduleuses, et impliquées dans des actions de blanchiment. Le mouvement va vers une augmentation des volumes d’argent sale, et une complexification des réseaux de blanchiment
François Werner a présenté les enjeux du combat contre le blanchiment et le rôle de TRACFIN (Traitement du Renseignement et Action contre les Circuits FINanciers clandestins) qui constitue à la fois une centrale de renseignements financiers et une unité spécialisée de lutte contre le blanchiment.
Présentation de l’intervenant
Ancien élève de l’ENA et de l’IEP Paris, Inspecteur des finances, François Werner est directeur de Tracfin.
Il a occupé diverses fonctions, notamment comme conseiller technique au cabinet de Nicolas Sarkozy (alors ministre du Budget), et secrétaire général adjoint de la mission interministérielle pour les Droits de l’Homme.
Il exerce des fonctions locales, en tant qu’adjoint au maire de Nancy, et vice-président de la Communauté urbaine du Grand Nancy. Il est auteur d’articles sur les finances locales, dans la revue Economica (1990, 1993 et 1997).

A/ Le développement de la lutte contre le blanchiment

La mise en place du début des années 1980

La mise en place de la lutte contre le blanchiment est un phénomène relativement récent. Et ce, parce qu’elle a nécessité une coordination internationale.
La première phase se situe dans les années 80, quand le G8 (1) met en place le GAFI (2) dont le rôle est d’édicter des pratiques applicables à tous les pays.
A ce moment, la lutte se portait contre les grands trafics « classiques » : arme, drogues, ?
Le GAFI demande aux pays impliqués :
– d’avoir une -et une seule- structure de blanchiment (par pays) quelle que soit son rattachement,
– de s’appuyer sur des professionnels, qu’ils soient du domaine de la finance ou des banques,
– et d’appliquer une série de directives (3) .

Les évolutions des années 2000

Les années 2000 ont vu quatre évolutions :
– L’élargissement à des professionnels d’autres domaines que les professions financières et bancaires. Il s’agit des professions du chiffre et du droit (par exemple les commissaires aux comptes). Et des marchands de biens de grandes valeurs (immobilier, commerce d’objets d’arts, ?).
Pourquoi cet élargissement ? François Werner utilise une image footballistique. Imaginons qu’une faute soit commise sur le terrain. S’il n’y avait qu’un arbitre, il se pourrait très bien qu’il ne la voie pas. Mais avec deux ou trois arbitres, ou même des caméras, il n’y aurait plus aucun doute car la faute serait prise sous différents angles, et le recoupement des éléments produirait de la certitude. L’intégration de ces différentes professions a pour but de pouvoir analyser une même affaire sous différents angles.
– L’extension qualitative et quantitative des infractions concernées par la lutte anti-blanchiment. Y ont été rajoutées : la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la corruption, ?
– La possibilité de mise en cause des professionnels eux-mêmes. Cette évolution a eu un impact très important car elle a fait prendre conscience aux professionnels que leur fonction n’a pas de neutralité. Et que l’abstention ou l’omission est en soi prise de position.
– La facilitation de l’incrimination pour blanchiment. Cette évolution est faite notamment au niveau jurisprudentiel. En 2005, il y a eu 120 condamnations pour blanchiment (hors opération périphériques, comme le recel).
Ces quatre évolutions ont changées la nature de la lutte, et l’implication de différents acteurs.

L’évolution du risque

Il est difficile de dire si le risque à augmenté. Factuellement, le nombre de dossiers que TRACFIN a transmis à la justice a augmenté. Mais les variables sont multiples, et cela peut autant être un indicateur de l’augmentation du nombre d’infractions, que de l’amélioration des techniques de lutte.
Néanmoins, il est clair que les standards internationaux se sont durcis :
– dans la précision de la lutte,
– dans la dureté des condamnations,
– au niveau des exigences,
– au niveau de la capacité d’extension géographique.
François Werner a développé ce dernier point. A partir de la décision prise par les grands pays industrialisés de mener cette lutte, le dispositif s’est étendu à d’autres pays. La tendance va dans « le bon sens », avec une sensibilisation des pays jusqu’à présent restés en retrait. Cela se caractérise par la mise en place d’un dispositif incitatif d’évaluation de la législation. Le G8 passe ainsi en revue chaque pays, et vérifie que des lois sont prises et appliquées. La France sera « auditée » en 2009. Il n’y a pas de sanction en tant que tel. Mais si un pays fait un résultat moyen, cela peut avoir un impact réel sur le pays incriminé. Évidemment, encore faut-il, que les dirigeants du pays en question y soient sensibles. Une dictature militaire dans un pays déjà mis au banc des nations, risque de ne pas s’émouvoir outre mesure.

B/ Le fonctionnement de la lutte anti-blanchiment

Déclarations de soupçons

A la base de l’action de TRACFIN, il y a les « déclarations de soupçons » des professionnels qui détectent des opérations suspectes. Il n’y a aucune obligation pour eux de faire ces déclarations. Néanmoins, quand une enquête est menée, le fait d’avoir fait une déclaration protège le professionnel. La déclaration est donc une forme de « protection ».
En quoi consiste cette déclaration ?
Cela dépend des pays : Dans les pays anglo-saxons, les professionnels sont incités à déclarer beaucoup d’opérations de façon automatique, en fonction de critères objectifs. En Europe, et notamment en France, les professionnels sont incités au discernement, et à avoir une analyse qualitative et « subjective » (au bon sens du terme) des opérations auxquelles ils sont confrontés.
En tant que dépositaire de déclaration, les collaborateurs de TRACFIN s’assurent de la non implication du professionnel dans les suites qui pourraient advenir. Le déclarant est totalement protégé. Sa déclaration a un statut particulier, et à aucun moment elle n’apparait dans le processus aval. Ce point est extrêmement important et sensible, car sans la confiance des déclarants, la lutte contre le blanchiment est grippée à la base.

Déclarations

TACFIN a reçu 12 000 déclarations en 2006 (ce chiffre est dix fois plus important dans les pays anglo-saxons pour les raisons vues plus haut). Ce volume de déclaration est important, par rapport à :
– la capacité de traitement de TRACFIN,
– la capacité de traitement de la justice,
– au nombre d’opérations réellement suspectes.
TRACFIN opère donc un écrémage très important, qui vise à passer du soupçon à la présomption.
Quels sont les critères de traitement des déclarations ? Il faut que la description de l’opération suspecte :
– comporte des éléments chiffrés,
– soit argumentée,
– dont on peut espérer qu’elle aura un débouché pénal ultérieur,
– et concerne des chiffres suffisamment importants.
Sur ce dernier point, François Werner précise qu’il n’y a pas en tant que tel de niveau minimal dans la lutte contre le blanchiment. Premièrement, parce qu’il y a un nombre important de fraudes qui passe par des « fourmis », c’est-à-dire des petits intermédiaires, dont la multiplication a justement pour but de masquer l’opération. Deuxièmement, parce qu’il n’y a pas de limite basse au financement d’opérations terroristes. Néanmoins, dans le cadre de « l’écrémage » validé par TRACFIN les volumes en jeu sont quand même un critère de sélection.

Quels sont les pouvoirs de TRACFIN ?

C’est d’abord une force de 70 personnes, tous fonctionnaires, et habilités secret défense.
Leur « pouvoir » tient en quatre points :
– TRACFIN a un pouvoir de « communication ». C’est-à-dire de demander aux professionnels concernés par les textes toutes les pièces justificatives nécessaires. Il s’agit bien sûr avant tout des comptes bancaires, des bilans, ?
– Il y a aussi un droit d’échanger avec des homologues étrangers. Il y a un volume d’échanges croisés d’environ 1000 informations par an (reçues et envoyés).
– Il y a enfin un accès facilité à de nombreuses bases de données du secteur public, par exemple des bases de données fiscales, des bases de données relatives à la sécurité du territoire (M. Werner rappelle que, inversement, les services fiscaux ne peuvent pas interroger TRACFIN.) ?

Typologie des affaires

TRACFIN va jusqu’à la présomption, puis transmet au procureur. 400 affaires sont transmises chaque année (soit 3% des 12 000 déclarations reçues). Il est difficile de donner un chiffre sur les condamnations obtenues (car il y a toujours un délai important entre le lancement d’une affaire et la condamnation). La typologie des affaires sur 2006 est la suivante :
– Une vingtaine d’affaires concernent le financement de réseaux terroristes.
– Une dizaine d’affaires liées à la corruption nationale et internationale.
– A peu près autant d’affaires de trafic d’armes.
– Une trentaine liée au trafic de stupéfiants.
Le procureur saisit à son tour les structures de police judiciaire pour conduire l’enquête :
– L’office policier de lutte contre la grande délinquance financière.
– La brigade financière.
– La gendarmerie.
– Et, de plus en plus, le nouveau service de douane judiciaire.

C/ Les perspectives de la lutte contre le blanchiment

Une nouvelle réforme, la transposition de la troisième directive antiblanchiment est en cours qui va élargir la liste des infractions concernées. Seront concernées toutes les infractions qui sont passibles d’une condamnation à un an de prison. Ce qui inclut la fraude fiscale. Cela pourrait entraîner une augmentation importante du nombre de déclarations, qui pourrait, si des ajustements ne sont pas trouvés, diluer l’efficacité de TRACFIN. Cette transposition doit être adoptée pour le 15 décembre 2007 (mais un report est à prévoir).
Chaque modification entraîne une redéfinition du périmètre de la déclaration de soupçon, et donc impacte les professionnels, correspondants de TRACFIN. Le souhait de M. Werner est de maintenir le niveau de coopération et de confiance avec ces derniers.
– Il faut les convaincre de l’importance de leur rôle dans le dispositif,
– il faut démontrer que TRACFIN est efficace,
– et que leur participation est parfaitement sécurisée.
La prise en compte des préoccupations des professionnels doit être constante.

Conclusion

En conclusion, M. Werner rappelle qu’on ne peut jamais être satisfait de son action dans ce domaine. La seule certitude est « que l’on ne voit pas tout ». Savoir ce que l’on a raté, savoir pourquoi une affaire a échappé à la vigilance, sont des interrogations récurrentes. Les formes de blanchiment sont sans cesse en évolution.
Mais la force du mouvement de lutte contre le blanchiment est de reposer sur l’initiative, le discernement et l’implication des professionnels correspondants. Ce qui en fait une arme autant -si ce n’est plus- redoutable que les stratagèmes utilisés par les blanchisseurs. Encore faut-il que le message passe? C’était en tout cas chose faite lors de cette conférence, que M. Werner a animé avec brio, humour et conviction.

Éléments du débat

Sur la difficulté du travail de détection :
Certains vecteurs de blanchiment sont extrêmement difficiles à détecter. Par exemple la carte téléphonique prépayée peut être utilisée (en grande quantité) comme outil de blanchiment. Le blanchisseur en achète de grandes quantités (avec de l’argent sale), qu’il écoule ensuite auprès de la population et récupère de l’argent blanchi.
Sur l’efficacité de la liste noire des pays non coopératifs :
Le fait d’être inscrit sur cette liste peut bien sûr pousser l’État ainsi incriminé à réagir. Néanmoins, temporise M. Werner, tout dépend de l’Etat en question.
Sur le financement du terrorisme :
Le problème est que le financement du terrorisme ne passe pas forcément par des activités délictueuses. Si un organisme caritatif collecte de manière régulière (au sens de respecter les règles) des fonds, il n’est pas possible à TRACFIN d’intervenir.
Sur la qualité des déclarations :
TRACFIN n’a aucun moyen de « pression » pour améliorer la qualité des déclarations. Maintenir le lien avec les déclarants est déjà un enjeu important.
Sur l’escroquerie appelée « à la nigériane » (4) :
Ce type d’escroquerie consiste dans l’envoi d’un message (par mail ou autre) dans lequel l’escroc propose à la cible de prêter une somme d’argent pour pouvoir débloquer une somme bien plus importante. La cible étant assurée (du moins le pense-t-elle) de recevoir un multiple de ce qu’elle a prêté.
M. Werner assure que cela marche encore ! Dans un cas récent, c’est près de 300 000 euros qui ont été donnés en pure perte par une cible.
Compte rendu rédigé par Jérôme Bondu
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Notes :
(1) G8 : Groupe des 8 pays les plus industrialisés.
(2) GAFI : Groupe d’Action Financière sur le blanchiment de capitaux, créé en 1989, en vue de renforcer à travers le monde la lutte contre l’argent sale. L’OCDE accueille, depuis juillet 1989, son secrétariat.
(3) Les recommandations du GAFI sont présentées dans le compte rendu de la conférence de JB Pinatel et Jérôme Cail au Club IES, le 29 mai 2007.
(4) Pour voir un exemple de ce type d’escroquerie, reportez-vous au très bon site www.hoaxbuster.com

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