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Big Brother est dans la foule

By 23 avril 2009juin 28th, 2022No Comments
Big Brother

Sur le blog de Lionel Tardy (député UMP et un des principaux critiques de la loi Hadopi) un billet présente une photo de l’investiture de Barak Obama (du 20 janvier 2009). Sur cette photo à ultra haute définition, on peut distinguer en zoom maximal le visage de milliers de participants dans la foule. C’est tout à fait étonnant, allez jeter un oeil ! Comme le dit le député « Une seule photo et la possibilité de « ficher » un million de personnes !* »
Un tel document peut faire penser à la surveillance de Big Brother. Dans l’ouvre de Georges Orwell « 1984 », le Parti unique a imposé des « telescreen » (ou télécran dans la version française), sortes d’écran-caméra, dans tous les espaces de vie, publics comme privés, et qui ont la capacité de capturer les moindres faits et gestes de la population d’Océania (Big Brother is watching you). Pourtant, est-ce que ce parallèle est juste ?

Internet nous éloigne de Big Brother

Il se trouve que je viens de relire « 1984″. Même s’il est facile d’associer internet et toutes ses composantes de détection et de conservations des données (la détection des IP, les réseaux sociaux, la maîtrise des mots clés de recherche, tous les éléments présentés par la CNIL) à une forme de fliquage (comme vient de l’écrire Metro), il est clair à la lecture de « 1984 » qu’en réalité internet éloigne de la dictature Orwellienne plutôt qu’il ne nous en rapproche. Voici trois éléments parmi d’autres :

Hyperconservation

D’abord, l’État d’Océania maîtrise davantage ses citoyens par la destruction méthodique de tout passé historique, que par une observation constante via les télécrans. Dans le roman de science fiction, l’Histoire n’existe plus, le passé est systématiquement revisité à la lumière des décisions prises par le parti. Si l’on peut échapper aux télécrans comme le fait le héros de l’histoire, on ne peut pas échapper à cette éradication du passé. A ce titre, Internet présente un visage complètement différent, puisqu’il permet une hyperconservation de toutes les strates d’actualité. Et une accessibilité par tous, à tout moment.*

Multiples outils de socialisation

Second élément de la dictature, la destruction des liens relationnels, qu’ils soient familiaux, amicaux, amoureux, ? au profit d’une seule et unique relation avec l’incarnation du parti, Big Brother. Inversement, internet a permis la floraison de multiples outils de socialisation (dont les réseaux sociaux ne sont qu’un des aspects) et d’expression, d’affirmation de son individualité, et du regroupement des individualités. La plupart des regroupements (blogs, groupes, forums…) fonctionnent sur le registre : « je suis unique, vous êtes uniques, formons le réseau des gens uniques ! » Derrière ce paradoxe, il y a une réalité qui fonctionne très bien sur le web.

Newspeak

Troisième élément, l’appauvrissement de la langue. Le Newspeak (ou novlangue) est créé pour permettre un encadrement du champ lexical, avec comme finalité de réduire l’expression de la pensée. Sur ce plan encore, internet est plutôt générateur de nouveaux champs lexicaux. Et même si la richesse lexicale issue du web n’est pas encore reconnue par l’Académie Française, ce n’est qu’une question de renouvellement de génération. ***

Il est d’ailleurs symptomatique que dans les Etats totalitaires (cette fois ci bien réels) internet est toujours strictement encadré (voir par exemple un précédent article sur la censure internet à Cuba).

Vulnérabilité individuelle et force collective

Allons plus loin. Il me semble qu’à partir du moment où tout le monde à accès à tout ce que disent tous les internautes, la valeur des informations personnelles s’effrite. C’est comme si chaque internaute acceptait inconsciemment de se dévoiler sur internet, sachant que si chacun fait de même, la possession par des tiers de ses informations personnelles perdra de sa valeur. Comme si cela entrainerait une neutralisation partagée, mutuelle et librement consentie. Comme l’a dit un des gendarmes interrogés par Metro, les gens râlent contre les données compilées dans les fichiers de la police (type Edvige), alors qu’ils en disent beaucoup plus sur internet.

Cette espèce de volonté inconsciente en rappelle une autre, qui est la base du contrat social. Le contrat social est le renoncement à une partie de nos libertés, ou droits naturels, en échange de lois garantissant la perpétuation du corps social. Le fait de vivre en société n’est-il pas celui d’accepter de limiter son espace de liberté, et chacun participant à cet effort, l’ensemble en ressort plus fort ? Internet me semble le terrain d’un nouveau contrat social où la société civile accepterait de se dévoiler, et chacun le faisant, de limiter ainsi l’appropriation par un tiers.

En d’autres termes, le contrat social (qu’il s’agisse de l’ancien ou du nouveau) reviendrait à échanger (volontairement ou non) une augmentation de sa vulnérabilité individuelle contre davantage de cohésion, d’efficacité du groupe, donc de force collective.

Sur-informer est la meilleure manière de se protéger

A ceux qui penseraient que l’abondance d’information sur une personne ou une entrepris est une faiblesse, il faut rappeler les bases de la gestion des informations. Mon métier de veilleur me donne une certaine légitimité pour affirmer qu’il n’est pas de veille plus difficile que celle qui se porte sur une entreprise ou un sujet sur-documenté.

La sur-information est même une des 3 techniques de « manipulation » (sans connotation négative) des informations : la première étant bien sur de ne rien publier (sous-informer). La seconde de publier des choses fausses (dés-informer). La troisième étant de sur-publier pour noyer le lecteur et cacher les choses importantes qui pourraient être publiques (sur-informer).

Des trois techniques, la dernière est la plus efficace pour des raisons simples : La première technique est difficile à mettre en oeuvre car il est impossible d’assurer une cloison étanche entre ceux qui savent (un conseil d’administration, des actionnaires, …) et le public. Les fuites sont inévitables. Et ne rien publier est toujours suspect. La seconde est dangereuse, et peut être (selon le niveau de désinformation) illégale. La troisième est facile à instaurer, est légale, et terriblement consommatrice de ressources pour les veilleurs qui doivent extirper l’aiguille de la botte de foin informationnelle. ****

Pour conclure sur la photo qui a initié cet article. Celui qui a pris la photo, l’a mise en ligne, et chacun y a accès. C’est une métaphore du meilleur moyen de limiter l’émergence d’un Big Brother. Puisque nous pouvons tous être Big Brother, personne ne le sera. Le nouveau « contrat social internet » contient en lui-même sa propre régulation.

Jérôme Bondu

 

Notes et références

Voir la photo. Voir le billet de Tardy

* Cette photo est construite à partir de 220 photos.

** Cela peut néanmoins être relativisé : Ceux qui possèdent les outils de stockage, possèdent le contenu. De même ceux par qui on retrouve les informations (je parle des moteurs de recherche) ont les moyens de censurer ou mettre en avant ce qu’ils veulent. D’où l’importance à mes yeux d’un moteur de recherche européen pouvant concurrencer intelligemment l’américain Google. La volonté européenne n’a-t-elle permis de se passer de Boeing pour le transport de passagers en créant Airbus ? C’est l’objet du moteur Quaero, le moteur de recherche européen.

*** Là encore, on peut nuancer mon propos. S’il y a beaucoup de gains, il y a aussi beaucoup de pertes. Le bilan est certainement positif dans certains domaines (sciences dures, codes liés au web, certaines conventions comportementales). Et certainement négatif dans d’autres (codes comportementaux plus traditionnels, expression des sentiments…).

**** Attention, le fait que la surinformation « protège », n’enlève en rien le devoir de vigilance ! Cela ne justifie en rien les accès d’impudeur sur internet, et notamment sur les réseaux sociaux. Poster les photos de sa dernière beuverie n’a aucun sens. J’ai présenté cela dans un livre blanc sur « l’impact des réseaux sociaux ».

L’extrait sur le contrat social est de Wikipedia.

PS : l’article a été posté sur Agoravox.fr. Voir les réactions.

Quelques autres articles qui évoquent Big Brother

Pour en savoir plus sur la sécurité informationnelle et l’intelligence économique, vous pouvez également consulter l’article : Compte rendu : Intelligence Economique et sécurité informationnelle.

Google manipule les résultats de son moteur de recherche.
A lire : Dans la Google du loup. De Christine Kerdellant (notes 1/2)
A lire : Les GAFAM et la santé, article du Figaro.
A lire : L’homme nu – la dictature invisible du numérique.
Liste des liens internet du livre : Maîtrisez internet

 

 

 

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