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Géopolitique

Emergence des Puissances Privées en France : 3/5

By 14 octobre 2007octobre 10th, 2022No Comments
France dans le monde

La situation de la France dans ce nouvel environnement

Ou en sont les puissances Privées en France  ? Cet article est le troisième d’une série de cinq, sur le thème « Mondialisation et émergence des Puissances Privées ». Ces articles sont issus d’une interview de Christophe Stalla-Bourdillon pour le BEM (Bulletin d’Etudes de la Marine – article paru intégralement dans le numéro de septembre 2007).

Voici les cinq articles :

  1. Émergence des nouvelles puissances
  2. Les conséquences de l’affaiblissement des États
  3. La situation de la France dans ce nouvel environnement
  4. Les raisons de la puissance des entités privées
  5. États, entités privées et gouvernance mondiale

Quels sont, selon vous, les compétences perdues par l’État français et au profit de qui ?

Depuis 20 ans, les pouvoirs publics français, comme ceux des États de l’Union européenne (UE), ont vu leurs leviers d’action économiques peu à peu s’éroder. Pour se conformer aux nouvelles règles édictées par l’OMC et par l’UE, l’État français a perdu nombre de ses prérogatives. Pour des raisons d’efficacité collective ? notamment stabilité économique et monétaire ?, l’UE a désormais la charge de la gestion des intérêts macroéconomiques français.

Quels sont les moyens dont dispose l’UE ?

Elle dispose, aujourd’hui, des trois leviers suivants :

  • Le levier budgétaire est aujourd’hui limité par le Pacte de stabilité et de croissance (adopté au Conseil européen d’Amsterdam en juin 1997) : déficit maximum de 3 % du PIB autorisé pour tous les pays de l’Union et niveau de dette publique maximal égal à 60 % du PIB ; le levier douanier n’est plus sous contrôle des États de l’UE depuis l’Acte unique de 1986, mais entre les mains de Bruxelles : ces États ne peuvent plus, ponctuellement, prendre des mesures douanières spécifiques pour protéger leur économie sur leur territoire ;
  • Le levier monétaire a été confié à la Banque centrale européenne depuis le traité de Maastricht de 1992. Celle-ci, soucieuse de l’intérêt commun de l’Union, a pour principal objectif la stabilité des prix. Cela interdit aux États signataires de pouvoir dévaluer leur monnaie pour doper leurs exportations. Ou bien de la réévaluer pour protéger leurs entreprises d’éventuelles OPA provenant de prédateurs situés hors de l’Euroland.
  • Le levier des normes est désormais contrôlé par l’Union européenne, et ce, depuis l’Acte unique.

Quelles sont les prérogatives restantes du domaine des Etats européens ?

  1. Après les privatisations en masse des années quatre-vingt, les États européens, la France en tête, se sont retirés de la plus grande partie de la sphère productive. Néanmoins, il reste, à la disposition des États, quelques outils (les deux premiers étant clés) pour agir dans le domaine économique :
    la compétitivité globale du pays (fiscalité ?) et son attractivité vis-à-vis des investisseurs français et étrangers ;
  2. L’éclosion des TPE (très petites entreprises)/start-up/projets industriels au travers du continuum ?enseignement supérieur/recherche et développement/entreprises? ;
  3. Les dispositions relatives au droit du travail et à ses à-côtés (notamment le niveau du SMIC et sa capacité d’influence sur les organisations syndicales) ;
  4. La gestion des services publics ;
  5. La régulation et la sécurité économique, si tant est que l’on puisse définir les contours d’un patriotisme économique européen compatible avec les règles de l’OMC et non assimilable à du protectionnisme déguisé ;
  6. La médiatisation (caisse de résonance et relais d’influence, comme dans l’affaire Mittal/Arcelor, ou Danone avec plus ou moins de réussite) ;
  7. Les arbitrages budgétaires (allocation du budget annuel).

Quelle est la situation des puissances privées en France ?

La France n’a pas su anticiper les conséquences de la mondialisation. Elle l’a subie… Nos élites politiques des années 80 / 90 n’ont pas su comprendre et analyser la « nouvelle donne émergente » (économies de plus en plus ouvertes ; concurrence accrue dans les secteurs traditionnels ; nécessité d’entrer rapidement dans de nouveaux secteurs stratégiques n’existant pas encore ; obligation de « muscler » les trois outils de compétitivité que sont l’enseignement supérieur, la recherche et l’éclosion des start-up à travers les pépinières d’entreprises ; nécessité de définir une politique d’indépendance et de puissance dans un monde fait finalement d’ouverture et d’interdépendance?).

La France est restée enfermée dans des schémas mentaux dépassés, issus du monde bipolaire et plus ou moins figé que nous avons connu jusqu’en 1989 (stratégie économique très « colbertiste » ; protectionnisme de nature « mercantiliste » ; marché français protégé par toutes sortes de « digues » non tarifaires?).

Manque d’anticipation pour la France !

Aujourd’hui, dans notre pays par exemple, la puissance scientifique et technologique est insuffisamment valorisée. Il faut la renforcer, et vite : c’est notre planche de salut la plus sûre ! La France n’a pas suffisamment investi dans le domaine de la recherche. Notre premier défi est aujourd’hui de recréer des élites scientifiques et techniques. tout en étant bien conscient du fait qu’il sera impossible d’être bon partout. Il faut donc parvenir à positionner notre pays sur des secteurs stratégiques clefs, opportunément sélectionnés, et développer une économie de l’innovation. Ces dernières années, pour des raisons électorales, on a souvent préféré donner la priorité à la consommation sur l’investissement.

On n’a pas assez préparé le futur ! C’est un fait !

A votre avis, les étrangers, sont-ils partiellement responsables de la situation économique française, plutôt morose ?

Soyons volontaristes et optimistes ! Si nous le voulions, l’avenir pourrait nous appartenir ? Il est même quasiment dans nos mains.

Ne diabolisons pas inutilement nos concurrents étrangers ! Nos voisins planétaires deviennent plus riches. Tant mieux ! Si, nous-mêmes savions être performants sur quelques « niches » high-tech rémunératrices et habilement choisies, nous pourrions également devenir plus riches en tirant parti de ces « nouveaux riches », futurs clients potentiels. Encore faudrait-il que nous nous en donnions les moyens?

Puis-je vous rappeler une anecdote personnelle qui m’a marqué ? Il y a trois ans, une journaliste économique de TF1 m’avait, pour le JT de 20 heures, posé la question suivante : « Pouvez-vous nous expliquer comment les entreprises françaises font à l’étranger pour espionner ? ». Ma réponse avait été la suivante : « Madame, l’objectif d’une entreprise n’est pas d’être numéro 2 ; c’est d’être numéro 1. Ce qui compte, ce n’est pas d’avoir de bons espions, c’est d’avoir de bons chercheurs. Ce qui est important, c’est de faire la course devant et de toujours garder une longueur d’avance sur ses concurrents ! Ce sont toujours les mauvais élèves qui copient sur les bons ! Jamais les bons sur les mauvais. On ne riposte pas aux espions des concurrents par plus d’espions de notre côté mais bien par plus de chercheurs ».

Puissances Privées en France et espionnage

Et je poursuivais : « A supposer même que nous ayons les meilleurs espions de la planète, que fabriquerions-nous ? Une copie? Une pâle copie, et plus chère, en raison de nos coûts de production élevés. Quel client achèterait une copie plus chère ? Alors, voyez-vous, Madame, la meilleure parade contre l’espionnage étranger reste encore INNOVER, INNOVER,INNOVER » « Bien sûr » ajoutais-je « Il ne faut pas être naïf et suivre de près nos propres concurrents, faire une veille active pour connaître leurs projets de développement, l’état de leurs recherches, le niveau technique de leurs laboratoires. Mais, ne gaspillons pas notre énergie dans la voie de l’espionnage ! CREONS ! INNOVONS ! DEVELOPPONS ! VOILA LA BONNE STRATEGIE ECONOMIQUE POUR NOTRE PAYS ! » « Et, pour ce qui est de l’espionnage? » finissais-je « ce dont nous avons besoin, en fait, pour notre pays, ce n’est pas tant d’espionnage économique que de contre-espionnage économique, afin que notre patrimoine immatériel de connaissances et d’inventions ne soit pas pillé à vil prix par des puissances étatiques ou privées sans scrupule. Voilà ! ».

Avantages absolus et comparatifs

Pour terminer sur cette anecdote, je dirais qu’aujourd’hui, dans la pratique, toute société qui n’est pas en force sur un marché donné préfèrera souvent vendre ses activités mal positionnées pour se renforcer dans des activités d’avenir, à fort potentiel, où elle est mieux placée : c’est l’application concrète des fameuses lois d’Adam Smith et de Ricardo sur les avantages absolus et comparatifs. Elle ne gaspillera pas son temps, son énergie et son argent à investir massivement dans de l’espionnage économique…

Christophe Stalla-Bourdillon

Retrouvez les analyses sur les puissances privées en France au travers des cinq articles de M. Stalla-Bourdillon :

  1. Émergence des nouvelles puissances
  2. Les conséquences de l’affaiblissement des États
  3. La situation de la France dans ce nouvel environnement
  4. Les raisons de la puissance des entités privées
  5. États, entités privées et gouvernance mondiale

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Biographie de Christophe Stalla-Bourdillon.

ESSEC 1980, expert et consultant en relations internationales, polyglotte (5 langues étrangères) et globe-trotteur (107 pays visités), Christophe Stalla-Bourdillon parcourt la planète depuis bientôt 30 ans.

Il a successivement travaillé chez Pont-à-Mousson (avec Francis Mer, futur Ministre des Finances). Roussel, Roneo, La Caisse des Dépôts (avec Edmond Maire, ex-Secrétaire Général de la CFDT) et, enfin, Vicat, aux achats, à l’exportation puis aux fusions-acquisitions. Son domaine d’expertise est l’IE/Intelligence Économique, qu’il préfère dénommer CSE/Compétitivité et Sécurité Économique.

Membre du Comité National MEDEF/IE et, à ce titre, co-rédacteur d’un rapport pour le Premier Ministre (octobre 2004), Christophe Stalla-Bourdillon est également professeur/ »guest speaker » en macroéconomie et intelligence économique à l’ESSEC, Centrale Paris, l’ICN et dans plusieurs universités françaises; Il fut en 2006/07 conseiller du Président de la FEPIE/Fédération des Professionnels de l’Intelligence Economique, l’Amiral Lacoste. Son engagement associatif est total puisqu’il préside l’association « Pays Émergents », assure la vice-présidence du Club ESSEC Défense et Sécurité Économique et anime discrètement un observatoire des pratiques éthiques (et donc non éthiques !) dans les affaires.

Ancien arbitre officiel de football, Christophe Stalla-Bourdillon est également officier de réserve (capitaine de frégate), très actif dans certaines sphères étatiques (SGDN entre autres) et internationales. Il fut nommé en 2006 Chevalier dans l’Ordre National du Mérite. Il a beaucoup travaillé sur l’émergence des puissances privées en France

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