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Géopolitique

Compte rendu : géopolitique du pétrole

By 13 septembre 2005janvier 25th, 2022No Comments
Géopolitique du pétrole

Conférence organisée par le Club Intelligence Économique et Stratégique, le 17 février 2005
Thème : Géopolitique du pétrole
Intervenant : Christophe-Alexandre Paillard

 

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Présentation de l’intervenant : Christophe-Alexandre Paillard

Christophe-Alexandre Paillard est Administrateur civil. Chef du bureau prospective technologique et industrielle à la Délégation aux Affaires stratégiques du Ministère de la Défense.
Maître de conférence à l’IEP – Paris.
Co-auteur de « géopolitique du pétrole ».

Résumé – géopolitique du pétrole

Durant cette conférence très riche, M. Paillard nous a expliqué pourquoi « faire face à la montée des incertitudes géopolitiques devient de plus en plus prégnant dans les réflexions stratégiques sur les questions pétrolières ».
Après avoir expliqué pourquoi les marchés mondiaux manquent de perspectives, l’intervenant a démontré que les risques économiques génèrent des risques géopolitiques. Et que ces risques cumulés nécessitent de se pencher et de s’interroger sur les perspectives Européenne en matière d’approvisionnement énergétique… 

Introduction

La perspective d’un choc d’offre dans le domaine pétrolier à l’horizon 2007–2008 est une perspective assez probable. Ce sujet agite actuellement tous les centres de réflexion à travers le monde et la plupart des ministères de la défense. Si cette option se réalise, le monde sera confronté à des problèmes certains.
Aujourd’hui, nous sommes dans une situation difficile où la plupart des zones pétrolières sont des zones dangereuses. A cela se rajoutent trois phénomènes :

  • Une dépendance par rapport au Moyen Orient qui risque de s’accentuer à l’horizon 2010 car un certain nombre de zones pétrolières s’épuisent (Mer du Nord, Etats-Unis, Canada, etc.). On assistera alors à une re-concentration de l’offre.
  • L’évolution des flux qui se dirigent de plus en plus vers l’Asie. Jusqu’à présent les pays consommateurs étaient principalement le Japon, Taïwan ou encore la Corée du Sud. Aujourd’hui la Chine, l’Inde et la Thaïlande sont de nouveaux acteurs qui pèsent de manière croissante dans la balance énergétique mondiale.
  • Le troisième élément concerne de possibles menaces terroristes sur les voies d’approvisionnement. En effet, le risque de rupture partielle et provisoire des approvisionnements serait très probable en cas de crise géopolitique. Cette perspective relance le débat sur la stabilité des marchés et la valeur que nous souhaitons accorder à notre sécurité énergétique.
  • Aujourd’hui, il devient donc de plus en plus important de mener des réflexions sur les questions stratégiques liées aux problèmes géopolitiques du pétrole. Or, premier point important, les marchés manquent de perspective.

1. Les marchés mondiaux manquent de perspectives

1.1 – L’offre peut-elle survivre ?

Les marchés du pétrole manquent aujourd’hui de vision et de perspective car l’offre n’arrive pas à suivre. En effet, en l’absence de capacités de production supplémentaires et significatives, la demande risque de dépasser l’offre aux alentours de 2007, ce qui risque d’entraîner une nouvelle augmentation des prix. Aujourd’hui les capacités de production excédentaires semblent limitées à 1,5 mb/jour  pour 2005. Les investissements restent limités, particulièrement là où se concentrent aujourd’hui les réserves pétrolières les plus majeures concentrées dans cinq pays du Golfe Arabo Persique (Arabie saoudite, EAU, Irak, Iran, Koweït), région du monde en proie à des tensions politiques et militaires très fortes.

1.2 – La demande va t-elle continuer à croître ?

Sur la période 2005 / 2020, il est prévu une augmentation de la consommation asiatique à un rythme deux fois supérieur à la moyenne mondiale. La consommation énergétique américaine pourrait croître de 50% d’ici 15 ans. Enfin, bien que limitée, la demande européenne va continuer de croître.

1.3 – Les investissements sont-ils suffisants ?

80% des réserves appartiennent aux compagnies nationales ne souhaitant pas s’ouvrir à ce jour aux capitaux étrangers, malgré de timides tentatives d’ouverture très récentes au Mexique ou au Koweït. Les compagnies nationales investissent peu. L’OPEP ne semble pas pousser à la hausse de la production de ses pays membres, malgré de récents relèvements des quotas de production des pays membres de l’OPEP. Certains pays « thésaurisent » très au-delà de ce qui est raisonnable et accumulent des devises en limitant leurs investissements (Algérie, Iran par exemple). Les compagnies étrangères seront donc obligées d’investir dans les zones les plus ouvertes (politiquement), c’est-à-dire les zones où l’accès au pétrole nécessite des investissements plus importants. Cette incertitude économique n’est pas sans conséquence.

2. Les tensions économiques génèrent des risques géopolitiques

2.1 – Quel rôle pour les États-Unis ?

Ils sont le premier consommateur mondial et possèdent une expertise très forte sur le sujet : la question énergétique est au cœur de leurs réflexions stratégiques. Seuls les États-Unis ont les moyens d’assurer la sécurité du Moyen Orient en cas de crise majeure.
Les États-Unis perçoivent certains nouveaux entrants (notamment la Chine) comme de possibles adversaires stratégiques. Dans une telle optique, la guerre asymétrique est la seule réponse possible pour un État opposé aux États-Unis (scenarii de « La guerre hors limite » de Qiao Liang et Wang Xiangsui). En effet, le monopole des Etats-Unis est de plus en plus contesté par des pays émergents qui estiment que cette situation fragilise leur sécurité. Ces pays vont devenir les premiers consommateurs d’énergies fossiles comme l’Inde (gaz) ou la Chine (pétrole). Ils souhaitent jouer un rôle grandissant dans le golfe arabo-persique. D’autres États pourraient jouer un rôle sur la scène énergétique mondiale dans un proche avenir : Indonésie, Afrique du Sud, Pakistan, Thaïlande, Singapour, Brésil, etc. et pourraient générer de nouvelles contraintes de sécurité.

2.2 – Quelles attitudes pour les pays émergents ?

Ces pays vont certainement développer leur outil militaire, en particulier dans le domaine naval. L’Inde et la Chine vont avoir besoin de quelques années pour combler leur retard technologique et capacitaire, malgré leurs coopérations militaires actuelles avec la Russie, premier exportateur d’armements et de technologies de défense à destination de ces pays.
Aujourd’hui, la Chine représente 30% de la croissance de la demande mondiale et montre un intérêt grandissant pour le Golfe arabo-persique. Elle resserre sans cesse ses liens avec les pays producteurs (Iran, Soudan, Arabie Saoudite, Angola, Pérou en particulier). La citation suivante d’Ali Al Naimi (ministre du pétrole d’Arabie Saoudite – Riad, février 2004) témoigne d’un resserrement récent des liens entre la Chine et l’Arabie Saoudite : « La Chine devient en fait un allié stratégique pour nous dans le secteur de l’énergie. Ils veulent venir dans l’amont saoudien. Ils sont les bienvenus. Comme nous sommes les bienvenus dans l’aval chinois, là où nous souhaiterions aller. »

Avec une croissance de 4,7% par an en moyenne de sa consommation énergétique (contre 2,2% par an pour le reste du monde) pour la période 2005/2020, la Chine accroît sans cesse sa dépendance énergétique et le pétrole devient l’énergie motrice de son développement, en particulier dans le secteur des transports. La question énergétique est désormais considérée comme un problème clef par les responsables politiques chinois qui considèrent que la présence à long terme des États-Unis au Moyen-Orient peut être un obstacle à leurs intérêts nationaux.

2.3 – Quelles conséquences stratégiques ?

Face à cette situation, les États-Unis pratiquent la politique du « containment » avec l’aide notamment du Japon (3ème consommateur mondial de pétrole en 2004 derrière la Chine) et, plus ponctuellement, de l’Inde. En effet, les États-Unis redoutent des conséquences politiques et stratégiques majeures si le régime chinois poursuit son évolution hégémoniste aux conséquences stratégiques majeures autour de l’océan indien.

Trois scénarii sont à l’étude au Pentagone.

Ces scénarii ont été communiqués à la presse en janvier 2005 :
– Le premier consiste en une stratégie d’emprise des chinois sur la région partant de la mer de Chine au Golfe arabo-persique. Un « axe maritime » se créerait entre l’Arabie Saoudite et la Chine facteur d’exclusion ou d’affrontement avec les pays occidentaux ou avec l’Inde.
– Le deuxième concerne la zone d’exclusion Taïwanaise. Celle-ci deviendrait un problème pour la Chine puisque la plupart de leurs approvisionnements pétroliers passent par le détroit de Formose. Un risque d’incident entre ces deux acteurs serait donc à craindre.
– Le troisième concerne l’oléoduc de Nakhodka. Les Chinois n’ont aucun accès au Moyen Orient car celui-ci est « verrouillé » par le système de « containment » des Américains. Ils seraient donc obligés de s’intéresser à la Sibérie et d’attaquer la Russie.

2.4 – Un nouveau jeu d’acteurs entre États-Unis, Asie et Moyen Orient

– Nouvelles positions stratégiques 

Les États-Unis recherchent dans de nouvelles positions stratégiques un moyen de mieux contrôler le Moyen Orient.
L’intervention en Irak ne contribue pas, pour l’instant, à stabiliser la région du Golfe arabo-persique. La vraie question aujourd’hui n’est toutefois plus complètement l’Irak mais l’Iran qui constitue l’acteur soumis aux tensions les plus fortes dans un proche avenir. Aujourd’hui, les États-Unis et Israël ne sont pas prêts à accepter un Iran nucléaire, et encore moins une source indépendante et sûre d’approvisionnement en hydrocarbures pour la Chine. Or, la Chine et l’Inde tentent de se ménager les faveurs énergétiques de ce pays. Ces pays, qui sur ce sujet ont des intérêts communs, n’accepteront pas facilement que l’Iran soit menacé, pas plus d’ailleurs que le Japon qui va investir massivement dans le secteur énergétique iranien.

– Les États-Unis : garants de la sécurité énergétique chinoise au Moyen-Orient

En effet, la pénétration chinoise au Moyen-Orient est un défi pour les États-Unis et leur dispositif de sécurité. Mais c’est aussi et surtout une vulnérabilité croissante pour les chinois eux-mêmes. Paradoxalement, ces derniers sont donc obligés de subir les conséquences de l’instabilité générée par l’occupation de l’Irak et d’accepter que les États-Unis soient les seuls actuellement à pouvoir contrôler la sécurité de la région.

– La position de l’Inde

L’Inde est à un carrefour sur la route des approvisionnements énergétiques entre le Moyen-Orient et l’Asie. Elle cherche à s’assurer une forme de suprématie sur son environnement maritime, mais ses capacités navales sont encore limitées, malgré ses partenariats industriels avec la Russie.
La dépendance énergétique croissante de la Chine et de l’Inde introduit une nouvelle dimension politico-militaire et devient un élément supplémentaire de rivalité entre ces deux pays. Si le coût de l’énergie et l’insuffisante disponibilité des réserves en hydrocarbures nécessitaient de « sécuriser » plus fortement leurs sources respectives d’approvisionnement énergétique, le Moyen-Orient deviendrait le point de focalisation de tensions inédites entre les deux géants asiatiques.

Ces tensions économiques et géopolitiques impliquent de se pencher sur les perspectives pour l’Europe.

3. Perspectives pour l’Europe – géopolitique du pétrole

Un troisième choc pétrolier né d’une crise au Moyen Orient est-il crédible ?

Il faut bien sûr distinguer un choc de court terme (rupture provisoire des approvisionnements) et un choc de long terme aux fortes implications géopolitiques et macroéconomiques. Le Moyen Orient va continuer de jouer un rôle clef dans les questions pétrolières et gazières européennes car l’Union européenne va rester structurellement dépendante des énergies fossiles de cette région. Tout débat sur la politique énergétique européenne, et sur les besoins capacitaires, doit donc tenir compte de ces données. Si la stabilité de l’Arabie saoudite est menacée, alors qu’elle seule peut peser sur les cours du brut en cas de crise, c’est l’ensemble des équilibres énergétiques et politiques européens qui seront menacés.

Concentration de l’offre

La re-concentration de l’offre sur le Moyen Orient a des conséquences stratégiques majeures et rend cette région plus que jamais incontournable.
Réduire la dépendance à l’égard du Moyen-Orient est essentiel pour différentes raisons :
– Le développement de la production pétrolière et gazière en mer du Nord a atteint ses limites.
– La dépendance pétrolière extérieure des pays de l’Union européenne est passée de 97% en 1973 à 55% en 2000. Le taux de dépendance vis-à-vis du pétrole produit à l’extérieur de l’Union pourrait faire un bond à 85% dès 2010 et à 90% en 2020, soit un retour aux niveaux d’avant le premier choc pétrolier.
– Le passage d’une situation de dépendance pétrolière limitée à une situation de dépendance pétrolière extérieure massive devrait contribuer à modifier les conceptions géostratégiques de l’Europe même si les pays européens n’ont pas de vraies marges de manœuvre budgétaires pour augmenter leurs budgets de défense dans les prochaines années.

Des choix énergétiques structurels sont inévitables pour les pays consommateurs.

Par exemple :
– relancer la diversification de leur offre énergétique. La relance de la construction de centrales nucléaires est inévitable en l’absence de percées significatives des énergies alternatives.
– réfléchir à l’utilisation de l’instrument militaire. La préoccupation maritime restera prioritaire pour assurer la sécurité des voies d’approvisionnement en pétrole et en gaz. Si les pays européens ne trouvent pas leur place, elle sera occupée par des pays comme l’Inde ou la Chine qui ne peuvent pas faire l’économie d’une politique navale ambitieuse pour sécuriser par eux-mêmes leurs voies d’approvisionnement en énergie dans les 20 prochaines années.

Conclusions – géopolitique du pétrole

Le Moyen Orient est au cœur de tous les enjeux et l’Europe a pour objectif majeur d’éviter une crise économique mondiale à court terme.

Aujourd’hui 3 questions primordiales se posent en matière de géopolitique du pétrole :
– Peut-on convaincre les pays producteurs d’accepter une augmentation importante de leur production ?
– Quelles seront les contreparties exigées par les pays producteurs ?
– Le « modèle européen » d’évolution politique du Moyen Orient peut-il parvenir à un tel résultat ?

Ces questions doivent être analysées en ayant en tête le fait que la donne énergétique est de plus en plus liée aux incertitudes géopolitiques, et le fait qu’il n’existe pas de solution « toute faite » mais des grilles d’analyse débouchant sur des scenarii à la fois crédibles et contradictoires.

Défis européens

Quelques défis s’ouvrent aux pays européens qui devront trouver rapidement un terrain d’entente sur le Moyen-Orient (en particulier l’Irak et l’Iran) pour sortir du face-à-face entre monde occidental et mouvements terroristes. Les Européens vont donc devoir accélérer le développement de leurs moyens capacitaires. Ils devront initier une politique commune pour disposer de forces de projection efficaces en cas de menace sur les voies d’approvisionnement en énergie ou en cas de déstabilisation de pays « amis » liés aux Européens par des accords de défense comme les EAU.

Cela pose trois d’autres questions sur la géopolitique du pétrole

– Quelle part de leur PIB les pays européens accepteront-ils de consacrer aux dépenses de défense dans les 20 prochaines années ?
– Les États-Unis seront-ils un allié des Européens sur ce dossier ?
– Comment va s’organiser la « solidarité » transatlantique dans les secteurs de l’énergie et de la défense ?

Jérôme Bondu, Marie-Liesse Delamaire et Sébastien Maréchal

 

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