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Géopolitique

Compte rendu : La route des épices ou les racines du succès en entreprise

By 17 décembre 2007février 9th, 2022No Comments
La route des épices

Compte rendu de la conférence du 19 octobre 2006, organisée par le Club IES, sur le thème :

La route des épices ou les racines du succès en entreprise

Animé par Brigitte Bourny-Romagné
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Présentation de l’intervenante (2006)

Brigitte Bourny-Romagné est Conseil en stratégie. Auteur des livres « Secrets de plantes à parfum » et « Des épices au parfum ». Après avoir été directrice du marketing pour Yves Rocher, elle crée et dirige en 1996 « Le Monde en Parfum », une nouvelle marque autour d’un concept parfum voyage matière première. En 2000, elle rejoint IFF en tant que directrice de création en charge des nez, puis elle est nommée directrice de la prospective sur les essences naturelles. En janvier 2003, elle crée une activité de conseil spécialisé dans l’audit, la communication et la stratégie d’innovation des marques. Elle est aussi vacataire à l’Ecole Polytechnique dans le master « management de l’innovation. ».

Présentation du thème : La route des épices

Mme Bourny-Romagné a présenté une méthode de réflexion originale sur l’innovation et sa conduite au sein de l’entreprise. A partir d’éléments historiques qui ont façonné l’identité de l’Europe et du monde, notamment la route des épices au Moyen Age qui a dynamisé l’économie européenne, elle tirera des enseignements géopolitiques et managériaux applicables à l’économie et aux entreprises d’aujourd’hui. Certains exemples présentés sont de véritables cas d’écoles en matière d’Intelligence Économique.

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L’épopée de la route des épices est passionnante. Le compte rendu ci-dessous est une reproduction quasi intégrale d’un compte rendu édité à l’adresse :
Diffusé par l’association GRIVES (Groupe de Recherche et d’Innovation sur le Vieillissement et la Santé), LVMH Recherche Parfums et Cosmétiques et Orléans Val de Loire Technopole.

Quelle a été la première motivation des hommes pour affronter les mers déchaînées, traverser les déserts, braver la mort et la maladie et se risquer sur les rivages les plus hostiles ? Qu’est-ce qui a fait d’eux des explorateurs, des aventuriers, des pirates ? Les épices…

 L’Égypte

Les parfums y étaient avant tout dédiés aux Dieux pour qu’ils demeurent dans la vallée du Nil. Les parfums sont obtenus alors par pilonnage des épices ramenées par les Phéniciens ou par les caravanes chamelières.
Ils sont supposés entraîner les mauvais esprits, avoir des vertus purificatrices, fécondantes et permettre l’accès aux forces qui régissent le monde. Les premiers parfumeurs sont donc les grands prêtres.
L’art de l’embaumement nécessite une quantité gigantesque d’épices et de parfums : ils permettent en effet d’accroître la résistance du cadavre aux phénomènes de putréfaction. Il faut, en moyenne, 300 mètres de bandelettes imprégnées pour envelopper un corps et jusqu’à 1 kilomètre s’il s’agit de Pharaon ! Cette consommation énorme pèse sur l’économie du pays, aussi, des expéditions sont menées pour ramener des arbres à encens et à myrrhe des régions somalienne et éthiopienne où ils poussent. Malheureusement, les végétaux ne s’adapteront jamais au climat égyptien, et le pays sera obligé de continuer à importer les précieuses marchandises.
Les parfums et les épices se propagent dans le monde profane en permettant aux hommes de faire face aux aléas climatiques : soleil, chaleur, insectes, vent, sable etc.
Ils entrent également dans la composition de médicaments tels le kyphi ou le hékénou. Mêlés aux boissons, ils deviennent d’efficaces remèdes contre les infections pulmonaires, hépatiques et intestinales.

Le rôle clé des Arabes

Ce sont eux qui ouvrent les routes commerciales, dont ils conservent précieusement le secret pendant des siècles. Au IXème siècle, on leur doit l’invention du serpentin à refroidissement, qui affranchit de l’usage des supports huileux pour les parfums. Ils distillent de la myrrhe, de la rose? Arnaud de Villeneuve introduit ce procédé à Montpellier au XIIIème siècle.

Le Moyen-Âge

Les parfums et épices sont alors de véritables marqueurs sociaux et les épiciers de l’époque sont l’équivalent de nos joailliers actuels. Pourquoi cet engouement pour les épices ? Trois raisons à cela :
– Cette période est marquée par de nombreux jours saints dans le calendrier : on consomme alors du poisson à la place de la viande. Ce met, fade, ne devient appétissant que par l’ajout d’épices.
– De même, pour des raisons de sécurité et aussi parce que de bonnes odeurs ne peuvent être que l’apanage du Diable, la cuisine est éloignée de la salle où l’on prend ses repas. Les plats arrivent ainsi souvent froids : l’ajout d’épices les rend plus acceptables.
– La diversité culinaire est pauvre : les épices apportent un peu de fantaisie à la gastronomie.
On trouve les épices sur un axe Venise-Bruges. En France, elles sont vendues lors des grandes Foires de Champagne (Troyes, Lagny sur Marne, Provins, Bar sur Aube), événements commerciaux durant 2 mois, parfois 2 fois par an.

Venise, l’impératrice du négoce

Son habileté d’innovation acquise lors de la construction de la cité lacustre en fait la ville la plus riche d’Europe. La ville est une réelle « frontière liquide » avec l’Orient, avec lequel elle commerce énormément. Elle sera d’ailleurs excommuniée pour cela.
Les croisades sont l’occasion pour les Vénitiens de s’enrichir : à l’aller, en transportant les Croisés et au retour, en rentrant les cales pleines d’épices. En 1082, Venise obtient l’exemption des droits de douanes dans tout l’empire byzantin contre son aide pour repousser les Normands. La quatrième croisade (1202-1204) fut l’occasion pour Venise d’asseoir sa puissance : la ville demande un prix exorbitant aux Croisés pour la traversée. Le vieux Doge Enrico Dandolo n’accepte de baisser son prix qu’en échange de l’aide des Croisés pour mettre à sac Constantinople, la plus grande rivale de Venise pour les échanges entre l’Orient et l’Occident. L’année 1204 sonne donc le glas de l’empire byzantin, dont Venise acquiert un quart. Venise a désormais le monopole du commerce des épices, la ville devient colonisatrice, avec la mise en place de comptoirs.

La Grande Peste, un fléau mondial

De 1321 à 1720, les hommes subissent de plein fouet cette terrible maladie qui décime les populations par où elle passe. Apparue en Chine, la maladie suit la route de la soie (qui est aussi celle des épices) et attaque l’Europe, sortant à peine d’une dure période de famine ayant affaiblie sa population, en 1347.
De 1348 à 1400, la peste frappe par cycles de 5 ans (les cycles seront de 15 ans par la suite). C’est une véritable catastrophe démographique et économique, la population n’ayant pas le temps de se renouveler avant de subir à nouveau une nouvelle attaque? Les gens ne travaillent plus, ne paient plus d’impôts alors que le dispositif sanitaire et sécuritaire de lutte contre la peste coûte très cher? La ville d’Orléans est touchée 22 fois.
L’hygiène est plus qu’approximative : l’Église fait régulièrement fermer les bains publics à cause du climat peu chaste qui y règne? Les habits en laine, notamment portés par les plus pauvres pour se protéger du froid, favorisent le développement des puces. On brûle quantité de parfum, censé purifier l’air, on inhale, consomme des plantes aromatiques que l’on porte en permanence sur soi. La thériaque de Venise et de Montpellier, ainsi que l’eau de Damas, sont les médicaments vedette censés lutter contre la maladie.

Montpellier, première ville du parfum en France

Aux XIIème et XIIIème siècles, la ville se développe grâce au commerce des épices et des plantes tinctoriales avec l’Orient. Disposant de vignes, et grâce à l’intervention d’Arnaud de Villeneuve, la ville s’ouvre très vite à l’art de la distillation, aussi bien de l’alcool que des eaux florales.
Catherine de Médicis, en épousant Henri II en 1547, amène avec elle son parfumeur (accusé aussi d’être empoisonneur) René le Florentin et donne une véritable impulsion à la parfumerie française en introduisant la mode des gants parfumés.
Montpellier bénéficie de plusieurs atouts. D’abord, de part la prospérité du commerce, les matières premières y étaient présentes en abondance. Ensuite, on trouvait dans la campagne environnante une profusion de plantes aromatiques. Tous les éléments étaient réunis pour faire de Montpellier la première ville du parfum en France.
L’activité va pourtant péricliter à partir de 1687 quand un arrêté fixe des droits de douanes exorbitants sur tous les produits alcoolisés, dont les parfums. Cela constitue un frein important à l’exportation des produits, notamment vers Paris. La profession, qui se livrait une concurrence féroce, migre vers la capitale, qui comptera 250 parfumeurs au XVIIIème siècle, et vers Grasse, un temps oubliée à cause de la peste et des bandes armées qui sévissent dans sa campagne. Montpellier demeure néanmoins un centre d’innovation important.

Grasse, du cuir au parfum

Un microclimat exceptionnel, un cheptel ovin important, une abondance de sources, une multitude de plantes aromatiques : les conditions sont réunies pour que la ville se spécialise dans la tannerie et notamment dans la confection de gants parfumés, qui seront déclinés sur bien d’autres supports (mouchoirs, éventails etc.)

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