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Gestion des connaissances

À lire : N’espérez pas vous débarrasser des livres. Umberto Eco

By 26 décembre 2025No Comments
Umberto Eco

J’ai lu « N’espérez pas vous débarrasser des livres », livre d’entretiens avec Umberto Eco (auteur du magnifique roman le Nom de la Rose) et Jean-Claude Carrière. Entretiens menés par Jean-Philippe de Tonnac. Je me suis souvent demandé quels types de conversations avaient des gens extrêmement cultivés. Grâce à ce livre, nous en avons un brillant aperçu. Il relate une conversation érudite, savante, passionnée parsemée d’humour, entre deux amoureux de livres.

Comme d’habitude, je fais une petite note de lecture avec quelques détails qui m’ont particulièrement intéressé. C’est évidemment parcellaire, incomplet, subjectif … et ne reflète en rien la richesse du livre.

Intelligence collective

Umberto Eco et Jean-Claude Carrière s’interrogent sur les courants créatifs, et leur genèse. JCC : « Les courants créatifs sont souvent nés de petits groupes de gens qui se connaissaient et qui partageaient, au même moment, les mêmes désirs. ». Les deux protagonistes évoquent aussi bien les surréalistes en France, que les poètes iraniens du XIIe siècle, ou les savants à Oxford au XVIIe siècle autour de la Royal Society. « En ce sens, le génie isolé parait inconcevable ».
> Dans les organisations on parle d’intelligence collective, de gestion des connaissances (knowledge management). La psychosociologie va s’intéresser aux prises de décisions, et aux mécanismes de perversion de ces prises de décision. Un des meilleurs ouvrages sur le sujet est Olivier Sibony « Vous allez commettre une terrible erreur ».

Archives

Umberto Eco et Jean-Claude Carrière vénèrent les livres. Et il n’est pas étonnant qu’ils placent ce support au-dessus des autres, y compris des supports numériques. Umberto Eco : « On n’a jamais inventé de moyen plus efficace de transporter l’information, que je sache. Même l’ordinateur avec tous ces gigas doit être branché. Pas ce problème avec le livre. Je le répète. Le livre est comme la roue. Lorsque vous l’avez inventé, vous ne pouvez pas aller plus loin ».
> Évidemment, ils parlent du support (ordinateur, tablette) pas d’internet, qui est quelque chose de différent. L’ouvrage est édité en 2009 et présente le dialogue entre deux « vieux » bibliophiles. Néanmoins, on ne peut pas tout à fait leur donner tort. Dans un autre passage, ils expliquent qu’ils possèdent des incunables vieux de 500 ans. On ne sait pas si dans 500 ans, nos données numériques seront proprement sauvegardées et accessibles…

Trésor

Peut-on imaginer découvrir encore un livre dont on ignore l’existence ?
À cette question, JJC raconte l’histoire extraordinaire de Paul Pelliot, linguiste français qui a acheté à un ermite une somme de très vieux documents cachés dans une grotte (grottes Mogao à Dunhuang en Chine). Curieux, j’ai été lire son aventure plus en détail dans sa page wikipedia dont j’ai tiré cette incroyable photo (source : Wikiepedia).
Ils digressent ensuite vers la notion de « chef d’œuvre ». Un livre ne nait pas chef d’œuvre, il le devient dans un environnement donné, et selon l’influence d’autres lectures. JCC : « Si je lis Kafka avant de lire Cervantes, à travers moi et à mon insu, Kafka modifiera ma lecture du Quichote ».

Paul Pelliot

Ânerie littéraire

Umberto Eco et Jean-Claude Carrière s’interrogent sur la quantité de livres contenus dans les bibliothèques durant l’antiquité et le moyen âge. Ils se posent aussi la question de la qualité de ces ouvrages. JCC « Nous avons une très haute idée du livre, nous le sacralisons volontiers. Mais en réalité, si nous y regardons bien, une ahurissante partie de nos bibliothèques est composée de livres écrits par des gens sans aucun talent, ou par des crétins, ou par des obsédés. Parmi les 200 000 ou 300 000 rouleaux que contenait la bibliothèque d’Alexandrie et qui sont partis en fumée, il y avait à coup sûr une vaste majorité d’âneries. »
> Ce type de commentaire nous rassure quant à la qualité de la production numérique … ce petit billet de faisant pas exception 🙂

Damnatio memoria

Umberto Eco et Jean-Claude Carrière s’interrogent sur l’impact de la censure. UE rappelle que la damnatio memoria des Romains « consistait à condamner quelqu’un post-mortem, au silence, à l’oubli. Il s’agissait d’éliminer son nom des registres publics, ou bien de faire disparaitre les statues qui le représentaient, ou encore de déclarer néfaste le jour de sa naissance ». Cette sentence était votée par le Sénat romain.
> Là encore le parallèle avec la révolution numérique est intéressant. Internet dans le monde occidental rend plus difficile le fait de faire totalement disparaitre un contenu. Mais il y a tellement de contenus publiés, qu’un déréférencement par un moteur de recherche suffit à le faire disparaitre. D’où la puissance normative de Google, ou depuis peu, des outils d’intelligence artificielle, qui nous disent ce que l’on peut lire, regarder, comprendre. Cette sentence est maintenant entre les mains d’un faible nombre d’acteurs américains. Le monde chinois et russe étant des cas particuliers.

Bibliothèque d’Umberto Eco

Umberto Eco et Jean-Claude Carrière possèdent chacun environ 50 000 et 30 000 ouvrages. Dont environ 1 000 et 2 000 ouvrages rares et précieux. Tous deux digressent beaucoup sur leur plaisir de bibliophile à rechercher pendant des années des livres introuvables. Et sur la difficulté, pour les non-connaisseurs, à mettre une valeur chiffrée sur ces livres. JCC raconte qu’il s’est fait cambrioler pour un montant d’environ 10 000 euros (télé, objets électroniques…). Mais que si le cambrioleur avait eu un peu de connaissance en livres anciens, avec un seul ouvrage, il aurait multiplié par 10 la valeur de son vol.
> À la lecture du nombre impressionnant d’ouvrages de ces deux collectionneurs, je me suis demandé combien j’en avais moi-même. J’en ai compté approximativement 1600. Dont 500 essais (intelligence économique, influence, sécurité-sûreté, sociologie, psychologie, géopolitique…). 400 romans. 300 bandes dessinées et mangas des enfants. Un peu moins de 200 livres d’arts et de photos (tous achetés d’occasion dans une solderie que j’affectionne). Plus de 100 romans en anglais. 30 livres de cuisine. 20 guides touristiques… Soit un trentième de la bibliothèque d’Umberto Eco ! Ce qui n’est déjà pas si mal 🙂

« N’espérez pas vous débarrasser des livres » est édité chez Grasset en 2009. C’est une belle lecture rafraîchissante !

Jérôme Bondu

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