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Gestion des connaissances

À lire : « Un anthropologue en déroute » de Nigel Barley

By 1 novembre 2025No Comments
anthropologue

J’ai lu un peu par hasard « Un anthropologue en déroute » de Nigel Barley. Je ne sais même plus comment ce livre m’est tombé entre les mains. Peu importe, j’ai beaucoup aimé. Beaucoup d’humour et de réflexion dans ce livre qui raconte l’étude de terrain de Nigel Barley (l’auteur), pour sa thèse en anthropologie, dans une modeste tribu montagnarde du Nord-Cameroun, illettrée, vivant à l’écart de la modernité, les Dowayos.

Inutile que je parle du plan ou des enseignements généraux du livre. Je ne vais relever que deux passages qui m’ont particulièrement intéressé.

Avertissement : Cette note de lecture ne reflète pas mes idées, et encore moins celles des structures avec lesquelles je travaille. Les phrases entre guillemets sont issues du livre.

Découvrir l’écriture

Le premier passage qui mérite d’être relevé (dans un blog sur l’intelligence économique) est la perception de l’écriture chez les Dowayos illettrés. Nigel raconte qu’il prenait en note les conversations qu’il avait avec cette tribu. Et que cela provoquait la stupéfaction des autochtones.
Extrait page 88 :
« Mais ce qui provoquait des murmures d’étonnement « merveilleux » « magiques », c’était mon écriture. À part quelques enfants, les Dowayos sont illettrés. Lorsque j’ai commencé à prendre des notes dans un pot-pourri de français, d’anglais et de phrases en Dowayo, transcrite phonétiquement, ils passèrent des heures à me regarder faire. Venant tour à tour derrière moi pour suivre par-dessus mon épaule le mouvement de ma main sur le papier. Lorsque j’en vins à pouvoir lire à un homme ce qu’il m’avait dit au cours de notre dernière rencontre, il fut stupéfié. »

J’ai beaucoup aimé ce passage, car il nous rappelle l’importance de la révolution de l’écrit. La stupéfaction des Dowayos, leurs exclamations « Merveilleux » « Magique » nous fait toucher du doigt ce qu’à dû être chez les Assyriens, Sumériens, Égyptiens, cette révolution il y a près de 5000 ans. Cela rappelle pourquoi on place le curseur du début de l’antiquité à la naissance de l’écriture. Et pourquoi les Égyptiens appelaient leur écriture « hiéroglyphe » (en grec) soit littéralement « les signes sacrés ».

Et surtout cela nous met, par effet miroir, dans la position des Dowayos, nous, qui découvrons le numérique et son dernier avatar, l’intelligence artificielle. Avouez. Vous aussi (tout comme moi) vous êtes exclamés comme des analphanètes « merveilleux » « magique » lorsqu’un plus digitalisé que vous, vous a fait la première démonstration d’une IA, de la génération d’une photo hyperréaliste, ou d’une hypercherie (deepfake en bon franglobish). Ne sommes-nous pas des Dowayos face à l révolution de l’intelligence artificielle ?

Dérober les secrets

Le second passage qui mérite d’être relaté (dans ce blog sur la veille stratégique … j’en rajoute un peu, faut bien travailler le référencement 🙂 concerne la culture du secret.
Extrait page 148 :
« La plupart des guérisseurs n’étaient que trop heureux de travailler avec moi pour la modeste somme que je leur remettais. Ils ne craignaient qu’une chose. Que je leur dérobe leur secret et que je m’installe à mon propre compte. Dans les sociétés primitives, le savoir est rarement à la portée de tous, surtout s’il est la propriété de quelques-uns. L’homme qui le détient le garde jalousement. Il a payé pour l’acquérir et il serait fou de sa part de s’en laisser dépouiller sans contrepartie, de même qu’il ne donnerait pas ses filles en mariage sans en avoir fixé le prix. Je n’étais pas surpris de voir les guérisseurs se méfier de moi. »

Vous me voyez encore venir avec mes gros sabots. Là encore on peut faire un parallèle avec la société moderne. Dans beaucoup de circonstances, la valeur de l’information est liée à sa rareté. La rétention est alors la règle. On peut débattre longtemps sur ce sujet passionnant, et dont je me suis fait souvent l’écho avec des réflexions sur les stratégies de partage, l’intelligence collective, les échanges dans les réseaux humains, les notions de rivalité de l’information …

Anthropologue en entreprise

À la lecture de ce livre très agréable, on s’aperçoit, à l’instar de l’auteur, que l’objet de l’observation, c’est autant les Dowayos, que nous ! Dans le même style, on pourra lire « Un paléoanthropologue dans l’entreprise » de Pascal Picq.

« Un anthropologue en déroute » est édité en 2016 par Payot.

Jérôme Bondu

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